Deux France face à face, dans un studio télévisé dont la table, la hauteur des sièges, l’éclairage et les prises de vues ont été scrupuleusement négociés. C’est le rendez-vous très attendu de l’élection présidentielle. On l’appelle « le débat de l’entre-deux-tours », alors qu’il ne s’agit nullement d’un débat, mais d’un duel sans merci pour clouer le bec à l’adversaire et le disqualifier. De petites phrases ciselées, bien apprises au cours des répétitions, doivent le faire sortir de ses gonds, le renvoyer dans les cordes, le placer devant ses contradictions, démontrer son incompétence ou son hypocrisie. Si les KO sont rares, il y a toujours un vainqueur aux points, désigné par un panel de citoyens téléspectateurs.

Les armes, ici, ne sont pas que des mots. La joute oratoire s’accompagne de mimiques, d’une gestuelle et d’une posture corporelle soigneusement étudiées. Dans un article très éclairant, un spécialiste de la communication expliquait récemment les ressorts de ce fameux débat télévisé : « Les dispositifs scéniques, conversationnels ou encore filmiques y sont appréhendés à travers des approches sémiotiques, voire (sémio-)pragmatiques, alors que d’autres approches, plutôt conversationnelles et argumentatives ont l’avantage de rendre compte des spécificités discursives et dialogiques de ces échanges. » En effet.

Les yeux dans les yeux, le sourire enjôleur, les protagonistes ne s’adressent pas l’un à l’autre ; ils ne visent même pas leurs électeurs respectifs. Ce face-à-face est destiné à deux autres France : celle qui, au premier tour, a voté pour un troisième homme et celle qui est restée à la maison. Encore faut-il que ces deux autres France ne s’abstiennent pas d’allumer leur poste de télévision. En démocratie, on ne soulignera jamais assez les effets désastreux de l’abstention sur l’audimat. 

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