Nous étions nombreux sur l’immensité de la plantation. Les feuilles sèches de cacaoyer tapissaient le sol, où les serpents se chauffaient au soleil après les longues pluies de juin. Les fruits jaunes pendaient aux arbres comme des lanternes d’autrefois. Merveilleux mélange coloré qui rendait tout beau et irréel, sauf notre travail harassant. À sept heures, nous étions déjà en train d’abattre les cabosses de cacao, après avoir aiguisé nos couteaux « caïman » à la porte du magasin. À cinq heures du matin, le coup de gnole et l’assiette de haricots nous avaient donné des forces pour le ­travail de la journée.

Honorio m’apprit le métier. Nous étions bons camarades, à l’ombre caressante des cacaoyers, où le soleil ne pénétrait pas. Mes pieds commençaient à se recouvrir d’une croûte épaisse, formée par le miel de cacao, que les bains dans la rivière n’enlevaient pas, et grâce à quoi mettre une chaussure devenait un vrai supplice. Et j’appris peu à peu l’histoire de ce Noir gigantesque, aux yeux doux comme ceux d’un agneau, aux dents rieuses et aux grosses mains d’assassin.

Héros de l’embuscade et du meurtre sur contrat. Ainsi s’expliquait que, malgré les neuf cents milreis dus par Honorio à l’économat, le Colonel ne le mît pas dehors et lui fournît encore de l’argent pour les tournées de tafia à Pirangi.

Enfant du pays, il était né au bon temps des fortunes rapides et des assassinats pour un oui ou pour un non. Il avait fait son éducation au milieu des fusillades et des morts. Le père était passé devant le tribunal un certain nombre de fois et finit tué à coups de hache. À douze ans Honorio avait déjà tué des gens avec la visée la plus sûre de dix lieues à la ronde. Il grandit ainsi. Combien il en avait tués, il l’ignorait. Ensuite était venu l’assainissement des plantations de cacao. Les morts diminuèrent, mais – qui l’eût espéré ? – ne cessèrent pas. Et aujourd’hui encore les routes sont encombrées de croix anonymes.

C’est le guet-apens. Par une nuit sans lune, le voyageur revient du village. Un goyavier solitaire au bord du chemin dissimule l’homme et son fusil. Un coup, un seul. Le corps tombe. Le tireur va dire à son employeur que le travail est fait et recevoir les cent milreis promis. Le lendemain, on trouve le corps et on l’enterre sur place. Et tout continue sans histoire.

Honorio était un technicien du guet-apens et le Colonel Misael avait d’innombrables ennemis… Je ne sais si le Colonel éprouvait des remords. Honorio, non. Il avait la conscience pure et claire comme l’eau de source. Il était bon camarade et nous, nous l’estimions beaucoup.

Il connaissait des histoires de réussites et de sales coups. Et il nous contait par les nuits de lune et de tafia des affaires mystérieuses que la justice n’avait jamais sues. Paresseux comme il était, bien rare le jour où Algemiro ne se plaignait pas de lui. Honorio le regardait de ses yeux doux :

– J’en ai plein le dos, d’ce gars-là… 

 

Cacao, 1933, traduit du portugais par Jean Orecchioni © Stock, 1984, pour la traduction française

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