Il fixait sur moi son ­regard intense creusé de cernes. C’était en 1988, cent ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil. Il parlait un français méridional et savait se faire comprendre pour dire les souffrances de son peuple. Il m’a demandé de le suivre. J’ai pris place à ses côtés dans une auto bringuebalante. Nous avons parcouru quelques dizaines de kilomètres à travers la campagne, non loin de sa petite église d’Olinda, dans la région de Recife. Nous avons stoppé au milieu de nulle part puis il m’a entraîné d’un pas décidé. C’était déjà un vieil homme, Dom Helder Camara. Malgré son essoufflement, sa voix était ferme et pressante quand il m’a dit : « On a aboli l’esclavage dans ce pays mais je vais vous montrer qu’il existe encore. » Nous avons débouché dans une clairière où se dressaient de minuscules habitations réservées aux planteurs de canne à sucre qui travaillaient chaque jour quinze heures sous la surveillance d’un fusil. Ils habitaient ces maisons lilliputiennes qui n’étaient rien d’autres que d’anciennes cases d’esclaves. Nous venions de remonter un siècle dans le temps et pourtant c’était le présent, ces hommes enchaînés à la canne. Nous sommes repartis en silence, j’avais goûté l’amertume du sucre.  

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