En 1913, Georges Clemenceau énonça une maxime simple souvent reprise depuis : « Le Brésil est le pays de l’avenir. » Il avait ensuite hoché la tête : « Et le restera longtemps. » Clemenceau avait raison. La terre de Santa Cruz, dès qu’elle sortit de son néant atlantique, en 1500, fut celle de l’avenir. Elle postula au titre de lieu futur du Paradis : elle portait des fruits extraordinaires et des femmes toutes nues, des papillons et des oiseaux qui n’existaient pas, une flore de conte de fées. La terra do Brasil était l’avenir du Portugal. Il suffisait d’attendre et l’âge d’or adviendrait.

Au commencement, les Portugais virent que le Brésil était plein d’arbres rouges, les arvores brasil (arbres de braise) qui valaient des fortunes car, de leur aubier, on peut extraire une teinture écarlate qui habilla les cardinaux de la Renaissance. Après un siècle, les forêts furent massacrées et on se mit en quête d’autres chances. On planta de la canne à sucre, on creusa des mines d’or. Ces cannes et cet or épuisèrent les sols et tuèrent beaucoup d’esclaves africains. On coupa des hévéas (caoutchouc) et, pour quelques saisons, les villes de Manaus et de Belem furent les plus belles du monde, avant de devenir des ruines. Le café suivit. Il partit du nord, de l’Amapa et descendit vers Rio de Janeiro, puis Sao Paulo, puis Londrina, en abîmant les belles terres rouges qu’il aimait.

Cette série de misérables miracles ne fut pas vaine. Elle exerça les Brésiliens à l’espérance. Le Brésilien ne se décourage jamais. Il attend toujours la parousie, le retour du Sauveur sur terre.

Le Brésil a la vue longue. Dès 1822, un ministre, José Bonifacio, comprend qu’il faut fabriquer une nouvelle capitale, au centre géométrique du pays, à la place de Rio de Janeiro qui est une ville de la beauté, de la périphérie et de la nostalgie. Un grand siècle passe et Brasilia, la capitale du futur, sort de terre et fait étinceler ses géométries au milieu du néant. 

Il arrive que cette hantise du futur fasse des bêtises. Il y a trente ans, le Brésil trouve une idée de science-fiction. Il va faire du pétrole avec de l’herbe. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Tout le Brésil roule à la canne à sucre ou au soja, se vante, vend des brevets au monde entier. Le pétrole du futur est né. Le Brésil pavoise, s’exalte. Un demi-siècle plus tard, il déchante. Il s’est peut-être trompé d’avenir. La canne à sucre a tout envahi. Les millions de bœufs qui paissaient naguère les belles prairies ont été chassés vers le nord et se mettent à manger la forêt amazonienne. L’Éden attendra encore un peu. 

Le Brésil est ainsi : affamé du lendemain, il a des tas d’idées et il les applique dès qu’elles germent dans sa bouillonnante cervelle. Aujourd’hui, les abeilles de la planète sont exténuées. Elles défaillent. Le monde s’affole car, sans l’insecte sublime, que deviendront les fleurs, les champs, les paysages ? Le Brésil a encore une idée. Il abrite dans ses forêts profondes des millions de millions d’abeilles sauvages. Ce sont des solitaires, des fantaisistes, qui font des miels admirables mais en quantités minuscules. Pourquoi n’ouvrirait-on pas des écoles dans lesquelles cette immense main-d’œuvre apprendrait à travailler aussi bien que les abeilles domestiques ? 

Certains se demandent où le Brésil a déniché cet « esprit pionnier » qui s’épanouit aujourd’hui. Pendant quatre siècles, ce pays a paru plus doué pour rêver sur l’Éden que pour vivre de vraies aventures pionnières. La saudade portugaise, que l’amiral Pedro Cabral avait pris soin d’embarquer sur ses caravelles, s’est régalée en arrivant au Brésil et elle a prospéré. Si l’on cherchait du rêve d’avenir, le Brésil en produisait des tonnes. Mais si on était en quête d’esprit pionnier, mieux valait lorgner les cow-boys de l’Arizona. 

Pourtant, en remontant les siècles, on découvre des époques sur lesquelles souffla le vent des aventures pionnières. Il n’est pas étonnant que ces épopées se soient déroulées dans la région où se trouve la ville de Sao Paulo qui, avec ses vingt millions d’habitants, sa folie d’entreprendre et ses milliers d’héli­coptères, est un des grands laboratoires du futur.

Cette histoire se déroule aux xviie et xviiie siècles, à Piratininga. Le Brésil colonial a besoin de bras. Les habitants de cette région sont des hommes de fer. Ils aiment la poudre, l’or, le sang et la gloire. La compassion n’est pas leur fort. La vie domestique non plus. Leur regard n’est à l’aise que dans les lointains. Chaque année, ils arment des troupes de cavaliers qui partent à la chasse aux Indiens et à l’or. Comme ces cavalcades sont précédées de grandes bannières, on appelle ces soldats terribles les bandeirantes.

Ces hommes de rapine sont les découvreurs du ­Brésil. Alors que les autres colons portugais se contentent ­d’habiter le littoral afin de contempler mélancoliquement le pays d’où ils sont venus, le Portugal, les bandeirantes au contraire tournent le dos à l’Europe. Ils sont fascinés par les abîmes, par l’inconnu, par le lendemain. Ils passent sur le pays comme un long rêve héroïque et sanglant. Ils n’étaient pas des guerriers délicats mais dans leurs ­chevauchées de meurtres et de mort, c’est bien le paysage du futur, c’est le Brésil du xxie siècle, qu’ils exploraient et qu’ils mettaient au monde.  

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