Pour caractériser l’enfer que vit la ville de Bakhmout, on évoque Verdun. Sous une pluie d’obus, 200 soldats ukrainiens y trouveraient chaque jour la mort tandis que 1 000 conscrits sortis des prisons russes passeraient « au hachoir à viande », selon la sinistre expression d’Evgueni Prigojine, ce proche du président Poutine qui dirige la milice privée Wagner. Cette boucherie à ciel ouvert est telle que l’on annonce régulièrement la chute de cette ville située dans l’oblast de Donetsk. Prigojine, encore lui, s’en porte garant et annonce des « succès militaires » que nul ne peut confirmer. Mais contre toute attente, Bakhmout, à l’heure où nous écrivons, tient encore, tient toujours depuis le début de son encerclement au mois d’août 2022. C’est que ce Verdun-là, attesté par des combats acharnés, la présence de tranchées, des corps-à-corps et le rôle central de l’artillerie, est aussi une guerre moderne qui recourt au renseignement satellitaire, aux drones et aux leurres de toute nature. Un jour prochain, qui sait ? les premiers chars britanniques Challenger et les chars Leopard 2 allemands, livrés la semaine dernière à l’Ukraine, viendront à la rescousse des assiégés.

Pour caractériser la situation actuelle, les militaires parlent du « brouillard de la guerre », une formule qui résume bien l’incertitude générale. Ni les hommes sur le terrain ne peuvent par définition avoir une vision globale des opérations, ni les stratèges être assurés de la réussite de leurs plans. Le spécialiste des frontières Michel Foucher et le directeur du Centre Thucydide Jean-Vincent Holeindre expliquent dans ce numéro du 1 hebdo à quel point la bataille des chiffres et les manœuvres d’intoxication sont décisives, au même titre que les victoires et les défaites enregistrées sur les champs de bataille. Car tout compte dans un conflit de cette ampleur : les forces morales de chaque camp, les effets psychologiques de la propagande et le sort des armes.

On peut mesurer l’épaisseur du brouillard de la guerre qui règne en s’intéressant tour à tour au nombre des victimes de l’agression russe en Ukraine (civiles et militaires), aux stocks de missiles ou d’obus dont disposent les deux armées, ou encore à leur capacité à aligner divers types d’engins blindés. Tout a été dit et son contraire. Le secret-défense opère ici en maître. Il reste que des chiffres circulent, que des données sont fournies par des institutions. En dépliant le poster de ce numéro, vous découvrirez une grande infographie, dessinée par Claire Martha, dans laquelle Sylvain Cypel livre un état des lieux au plus près de la réalité militaire. Une gageure. Et une mine d’informations qui ne masque rien des marges d’erreur possible. 

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