Combien de victimes russes en treize mois de guerre ? Les réponses divergent. 27 000 morts ou blessés inaptes au combat, clament les autorités moscovites. Non, 200 000, et même 250 000, rétorquent des organismes spécialisés internationaux. Et combien de morts parmi les civils ukrainiens ? 7 200, assure l’ONU. 120 000, proclament des sites ukrainiens. Comment se fait-il qu’entre les sources, des données concordent ici dans une proportion de 1 à 1,2 ou 1,3 – ce qui tend à les accréditer – et parfois divergent de 1 à 17 ?

Dans cette guerre, il est évident que le camp russe ment souvent délibérément, idéologisant chaque action, minimisant ses pertes, niant ses crimes. Mais le New York Times, par exemple, tout en dénonçant vivement les « mensonges » russes, a évoqué le 2 février « la réticence de Kiev à divulguer ses propres pertes ». Et c’est de source américaine qu’est sortie la thèse selon laquelle l’Ukraine a probablement saboté les gazoducs russes Nord Stream, le 26 septembre 2022 – contrairement à l’idée convenue que le Kremlin était l’initiateur de cette action. Cela ne blanchit en rien l’armée russe de ses crimes, mais rappelle seulement que les données peuvent être tronquées, dissimulées, difficiles à interpréter.

« La première victime de la guerre, c’est la vérité », veut un adage. Mais s’agit-il nécessairement toujours de tromperie ? Dans certains cas, la manipulation des données semble évidente ; dans d’autres, c’est la méthode de comptage qui change. De plus, les institutions qui rassemblent ces données sont souvent étatiques, ou proches d’institutions publiques. Pour y ­parvenir, elles usent de l’imagerie satellite, de l’interception des communications, du suivi des médias (et des médias sociaux aussi, de plus en plus), des rapports officiels des gouvernements et des institutions internationales. Reste la grande difficulté à avancer des chiffres précis puisque les estimations varient parfois au sein même des gouvernements les plus impliqués.

Que peut faire le journaliste devant l’avalanche de données ici concordantes, là complètement divergentes ? Réponse : respecter quelques règles. Dans ce dossier, nous avons utilisé le plus possible les données les plus récentes issues des sources considérées comme les plus fiables. La plupart ont été rendues publiques entre le 1er février et le 15 mars 2023. Dans certains cas, nous avons ignoré des données manifestement peu crédibles. Nous avons aussi croisé le plus possible de sources. Parfois, lorsque leurs chiffres sont trop éloignés les uns des autres, nous indiquons au lecteur la fourchette entre les deux pôles. D’autres fois, lorsqu’ils sont relativement similaires d’une source à l’autre, nous utilisons soit la dernière en date, soit les données moyennes. Enfin, il faut tenir compte de la méthodologie. Certaines sources ne retiennent que les données strictement constatées. D’autres extrapolent : par exemple, un ratio de 3,5 blessés pour 1 mort au champ de bataille.

Tout cela dans l’ambition, in fine, d’offrir une information s’approchant au plus près du réel. En se souvenant que l’infaillibilité n’appartient qu’au pape. 

Sylvain Cypel

 

1. Les deux belligérants

– 1 500 km de ligne de front potentiel, dont 500 km en guerre active au sol.

18 % du territoire ukrainien occupé aujourd’hui par la Russie (Crimée et Donbass).

Les capacités militaires globales des deux pays (au 23 février 2022)

2. Russie-Ukraine : la taille des armées sur le terrain

Les forces engagées dans la guerre par chaque pays

Les pertes en matériel de chaque pays

 

Armées de terre

Les Russes auraient perdu plus de 40 % de leurs chars engagés dans la guerre, les Ukrainiens un peu moins du quart des leurs, selon le Military Balance 2023 de l’IISS (International Institute for Strategic Studies). La moitié des chars russes T-72B3 et T-72B3m et des T-80 auraient été perdus, remplacés par des modèles beaucoup moins modernes.

 

Armées de l’air

La Russie aurait perdu 6 % à 8 % de ses avions de combat tactiques, et 10 % à 15 % de certains modèles d’appareils d’attaque au sol. Nombre de ses modèles les plus efficaces et modernes ont été abattus, comme les 24 Su-25 Frogfoot ou 17 Su-34 Fullback, particulièrement coûteux. Les pertes d’avions de l’Ukraine, elles, ont été amplement compensées par la livraison d’appareils ex-soviétiques qui lui ont été fournis par les anciens pays du « bloc de l’Est » (Pologne et Slovaquie, en particulier).

Les livraisons d’armes fournies de l’extérieur à chaque belligérant

 

Livraisons de matériel militaire à l’Ukraine

L’événement le plus récent est la fourniture à l’Ukraine de 140  tanks lourds Leopard 2, qui a commencée. L’Allemagne en a promis une centaine, la Grande-Bretagne 14, laPologne 12, le reste sera livré par laNorvège, laSuède, laFinlande, leDanemark, laTchéquie, l’Autriche, lePortugal et l’Espagne. LaSuisse et laHongrie ont refusé. LaFrance ne livrera que des chars légers. LesÉtats-Unis se sont engagés à livrer 31chars lourds Abrams supplémentaires.

Les principaux donateurs d’armes à l’Ukraine

En apparence, les États-Unis sont beaucoup plus généreux que les Européens dans leur soutien aux Ukrainiens face à l’assaut russe. Or, les chiffres sont trompeurs si on ne se fie qu’aux montants des fournitures d’armes. Sur ce terrain, les États-Unis sont ultradominants. Le Congrès américain a voté jusqu’ici 45 milliards de dollars de livraisons d’armes, deux fois et demie plus que le total européen. Mais, notent des sites comme EU Observer ou Consilium Europa, les États-Unis proposent quasi exclusivement une aide militaire. Les Européens, tous fournisseurs réunis, ont contribué pour

67 milliards d’euros à l’effort de guerre ukrainien, mais de manière très diversifiée : 37,8 milliards d’assistance économique, 17 milliards de soutien aux 13 millions d’Ukrainiens réfugiés intérieurs et extérieurs, et un peu plus de 12 milliards d’euros pour les fournitures d’armes. Dansce dernier domaine, remarque le site EU Observer, « les États-Unis sont le seul pays en mesure de mener l’aide ». Mais, pour ce qui touche à la reconstruction (logement, éducation, santé…) « leleadership revient à l’Europe ».

 

Livraisons de matériel militaire à la Russie (effectuées par la Biélorussie et l’Iran)

Moscou et Téhéran ont récemment signé la création d’une usine de fabrication de drones iraniens en Russie.

Les données sur les missiles et lance-roquettes fournis à l’Ukraine et ceux à venir sont partielles ou non encore connues. On sait par exemple que l’Ukraine devrait recevoir des batteries de missiles Patriot, mais 4 seulement sont confirmées.

3. Les conséquences de la guerre

 

Les pertes humaines

Vladimir Poutine a initialement envoyé 120 000 à 150 000 soldats en février 2022. S’y sont ajoutés ensuite environ 60 000 autres avant l’annonce de la « mobilisation générale partielle » russe du 21 septembre 2022. Avec les 300 000 à 320 000 soldats supplémentaires enrôlés après cette mobilisation, la Russie aurait déjà envoyé, au total, entre 480 000 et 530 000 hommes combattre en Russie, tous types de troupes confondus. Si, comme l’estiment la plupart des experts, les Russes disposent aujourd’hui d’environ 280 000 à 320 000 soldats sur le terrain, cela indiquerait qu’ils auraient perdu – morts, blessés graves, prisonniers, déserteurs, ruptures de contrat – quelque 200 000 à 210 000 hommes detroupe.

 

Les civils, cible privilégiée des forces russes

Une économie ukrainienne ravagée

Une économie russe résistante aux sanctions

Déplacements, massacres, viols, rapts d’enfants

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