S’en remettre immédiatement au juge. L’attitude de l’Ukraine, au lendemain de l’agression russe, il y a un an, n’était pas si attendue. C’est pourtant dans cette voie que Kiev a persévéré, celle du lawfare, de la guerre juridique. Dans un élan symbolique, alors que la Russie prétextait une « dénazification » pour légitimer l’attaque, l’Ukraine s’est d’abord tournée vers la Cour internationale de justice, une affaire toujours en cours.

Il est des voies symboliques et il est des réponses juridiques concrètes : durant cette année de guerre, elles sont venues du droit pénal qui, par ses interdits, matérialise la « conscience commune » d’une société, disait le sociologue Émile Durkheim. En mars 2023, un mandat d’arrêt a été délivré par la Cour pénale internationale (CPI) contre Vladimir Poutine : le chef d’un État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, d’une puissance nucléaire, d’un pays qui, en 1945, a établi le Tribunal international de Nuremberg, avec pour but, précisément, de juger les « grands criminels ». Une décision sans précédent. Pour la CPI, il existe des « motifs raisonnables » de croire que la responsabilité du président pourrait être engagée en raison de déportations d’enfants ukrainiens vers la Russie, des faits constitutifs de crimes de guerre.

Kiev cherche à préserver les preuves de meurtres et de viols en les recueillant au plus vite

La Russie n’est pas membre de la CPI et elle a fait savoir qu’elle considérait cette décision comme nulle et non avenue. Mais cet État est partie à la convention de Genève IV qui incrimine aussi ce type de transferts illégaux et impose d’en juger les responsables. Vladimir Poutine connaîtra-t-il un jour le même sort que Slobodan Milošević, finalement transféré à La Haye par son propre pays, après un changement de régime ? Dans le court terme, comme la CPI ne dispose pas de sa propre police, les conséquences de ce mandat dépendront de la coopération internationale qui constitue une obligation pour les membres de la CPI. De nombreux États ont montré une certaine détermination. La France elle-même a ouvert plusieurs enquêtes pour des crimes de guerre commis sur le territoire ukrainien contre des Français. Toutefois, c’est en Ukraine que les poursuites au niveau national sont d’une intensité inédite pour un pays en pleine guerre. Kiev cherche à préserver les preuves de meurtres et de viols en les recueillant au plus vite ; dans un contexte de violence, cet État est amené à déployer une vigilance accrue pour veiller au droit à un procès équitable.

D’autant qu’un crime de guerre peut être difficile à établir. D’où le projet de créer un tribunal international spécial compétent pour juger le crime d’agression, plus facile à prouver. En établissant, dans l’esprit de Nuremberg, ce tribunal, il s’agirait de compléter l’action de la CPI, qui ne peut juger l’agression russe. S’il est créé, ce tribunal pourra juger par contumace et ne reconnaîtra pas les immunités. Alors que le Conseil de sécurité, bloqué par le veto russe, ne peut porter ce projet, ce tribunal doit être établi sur des bases solides, avec le soutien d’un maximum d’États. Certains s’y opposent par crainte d’inciter à des poursuites similaires pour des faits tels que l’invasion de l’Irak en 2003. Or, ce sont précisément ces agressions antérieures qui ont ouvert la voie à l’offensive contre l’Ukraine en violation de la Charte de l’ONU. Ces regards tournés vers le passé menacent l’existence même du droit international. Alors que c’est le futur qu’il faut considérer, un futur où le crime des crimes ne restera pas impuni, quel qu’en soit l’État qui en est l’auteur : c’est à cette condition que la paix sera possible. 

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