Nul ne peut échapper à l’Histoire – en 1940, Henri Michaux, ce Belge de Paris, est assigné à résidence dans le Var par le régime de Vichy. Contre les puissances hostiles, il va créer des textes-monstres et des dessins-dragons où dissoudre le mal. Un travail d’exorcisme digne des plus grands démons : le véritable poème du prisonnier.

Voici qu’est venue l’Époque dure, plus dure que la dure condition de l’homme.
Elle est venue, l’Époque.
Je ferai de leurs maisons des lieux de décombres, dit une voix.
Je ferai de leurs vaisseaux qui voguent sur l’eau des pierres qui coulent rapidement.
Je ferai de leurs familles des hordes terrifiées.
Je ferai de leurs richesses ce que d’une fourrure font les mites, n’en laissant que le spectre, lequel tombe en poussière au moindre geste.
Je ferai de leur bonheur une sale éponge qu’il faut jeter, et leurs projets d’autrefois plus comprimés que le corps de la punaise persécuteront leurs jours et leurs nuits.
Je ferai planer la mort en vérité et en réalité et malheur à qui se trouvera sous ses ailes.
Je culbuterai leurs dieux d’une monstrueuse culbute et dans ses débris éparpillés ils trouveront des dieux qu’ils ne se savaient pas et dont la perte les fera souffrir encore davantage.

« La marche dans le tunnel », Chant vingtième, dans Épreuves, exorcismes © Éditions Gallimard, 1945

 

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