« Nous avons bouleversé durablement l’éducation telle que nous la connaissions »
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Que savons-nous, à ce jour, de la transmission du coronavirus chez les enfants ?
La seule chose que nous savons réellement, c’est que nous manquons cruellement de certitudes ! La question du Covid chez les enfants est un sujet qui cristallise nombre d’informations scientifiques contradictoires. Au départ, les enfants semblaient ne pas pouvoir être vecteurs du coronavirus, ne pas y être sensibles. On pensait que, lorsqu’ils l’attrapaient, les cas étaient très bénins. Aux États-Unis, notre président a même déclaré que les enfants étaient « presque immunisés contre le coronavirus ». Nous avons vu que ce n’était pas nécessairement le cas. Dans le sud du pays, le virus s’est propagé au sein des écoles. Nous savons donc désormais que les enfants peuvent le contracter et qu’ils peuvent le transmettre. Nous constatons que les enseignants sont également exposés, notamment s’ils ont des problèmes de santé.
Selon une étude réalisée par l’université de Valparaíso, au Chili, le taux de mortalité chez les enfants, bien que très faible en moyenne, semble légèrement varier d’un pays à l’autre. Y a-t-il une explication ?
Les masques semblent faire une grande différence. Il apparaît que les pays où les taux de transmission sont faibles sont aussi ceux où le port du masque est très encadré et où les responsables de la santé publique ont réussi à convaincre la communauté que tout le monde devait le porter. En Israël, par exemple, une école a rouvert et, en raison de la hausse des températures, l’enseignant a autorisé les enfants à ôter leur masque, à faire des « pauses ». Résultat : une nouvelle vague épidémique s’est déclarée au sein de l’école. Nous savons aujourd’hui qu’il est important que les enfants portent un masque régulièrement, dans la mesure du possible.
Quels sont les principaux éléments que nous ignorons encore sur le virus et ses effets sur les enfants ?
Nous ne savons toujours pas si le temps d’incubation du Covid-19 est le même pour un enfant que pour un adulte. Nous essayons d’appliquer la règle des 14 jours de quarantaine pour tous, mais peut-être que ce temps n’est pas approprié aux plus petits. Autre chose : nous avons pensé au départ que les enfants n’éprouvaient pas les symptômes de manière aussi grave que les adultes, mais cette affirmation a récemment été questionnée.
Quelles mesures les écoles devraient-elles prendre pour éviter que le Covid-19 ne se répande parmi les élèves ?
Pour protéger tous les élèves, le personnel et les familles, chacun devrait avant tout porter un masque. Les élèves devraient le porter depuis le moment où ils entrent dans l’école, jusqu’au moment où ils la quittent. Lorsqu’ils l’enlèvent à l’heure du déjeuner, ils doivent s’assurer de le remettre aussitôt leur repas terminé. Il faut aussi garantir un maximum de distanciation sociale. C’est la méthode la plus sûre que nous connaissons à ce jour. Les écoles doivent réfléchir aux espaces où les enfants se rassemblent – les cafétérias, les lieux partagés, les toilettes, les cages d’escalier, les couloirs – et à la manière dont ces derniers peuvent être tenus à distance les uns des autres. Nous devons également nous assurer que tous les enfants se lavent les mains lorsqu’ils passent aux toilettes et avant d’aller déjeuner. Il faut de l’eau et du savon ou du gel hydroalcoolique à disposition des enfants pour préserver les lieux d’apprentissage.
Aux États-Unis, comment la rentrée scolaire a-t-elle été préparée ?
Les écoles ont évalué leurs disponibilités en matière d’espace et ont réfléchi au nombre d’élèves qu’elles pouvaient recevoir dans leurs bâtiments. Si vous pouvez accueillir un tiers de vos élèves en toute sécurité, que faire des deux autres tiers des élèves ? Certains élèves viendront-ils un jour par semaine ou deux jours par semaine et d’autres viendront-ils moins ou plus, en fonction de leurs besoins ? Dans ce contexte, se pose évidemment la question du personnel supplémentaire, et donc du budget.
Si une école est trop petite et n’a pas la possibilité financière d’engager du personnel supplémentaire, devrait-elle rester fermée ?
On sait combien une école est un point d’ancrage au sein d’une communauté, et nombreux sont les établissements qui font en sorte de trouver le moyen de rouvrir, sous la pression des parents, malgré leurs petites surfaces. Aux États-Unis, des écoles réfléchissent aux manières d’être innovantes et créatives. Certaines prévoient de faire classe en plein air en se dotant de tentes et de chauffages extérieurs pour être en mesure de faire cours même lorsque les températures commenceront à chuter. Des écoles ont même prévu d’adapter leur programme scolaire, en ajoutant des cours sur l’environnement ou en incluant de la randonnée. Je pense que nous allons voir émerger beaucoup d’innovations de ce genre au cours de l’année prochaine en réaction à la pandémie.
Comment atténuer le stress et l’anxiété des élèves, des parents et des enseignants en cette rentrée scolaire ?
Il est effectivement indispensable de se pencher sur la question de la santé mentale. Les inquiétudes sont grandes, certains élèves ne sont pas retournés à l’école depuis six mois. Comment les faire revenir et faire en sorte qu’ils s’engagent dans cette nouvelle année scolaire, que les familles se sentent soutenues ? De nombreuses écoles envisagent d’associer les élèves à des mentors, en connectant les élèves plus âgés avec les plus jeunes. Les écoles ne sont pas que des bâtiments, elles sont le théâtre d’un ensemble d’expériences marquantes pour la jeunesse. Les enfants veulent y retourner pour voir leurs amis, pour reprendre le sport. Les écoles américaines essayent donc, dans la mesure du possible, de trouver le moyen d’intégrer ces offres pour que les élèves s’impliquent dès la rentrée. Il en va de même pour les enseignants, qui ont connu une période très stressante, parce que nous leur avons demandé de s’adapter brusquement en enseignant à distance. Ils ont plongé dans ce monde nouveau dans lequel ils ont dû naviguer à vue. Les écoles doivent réfléchir à la manière dont elles peuvent soutenir ces enseignants. Certaines ont mis en place des groupes d’apprentissage auxquels les enseignants peuvent participer, elles leur fournissent toutes sortes de ressources professionnelles. D’autres leur permettent tout simplement d’établir des liens entre eux afin qu’ils puissent parler de leurs craintes et de leurs préoccupations lors de leur retour à l’école, car c’est quelque chose de nouveau pour eux qui va encore durer peut-être trois, six ou neuf mois.
Pensez-vous que les changements qui sont en train de s’opérer à l’école sont voués à perdurer ?
Oui, je pense que nous avons bouleversé durablement l’éducation publique telle que nous la connaissions. Elle ne retrouvera pas complètement sa forme d’avant la pandémie. Nous commençons à voir apparaître toutes sortes d’innovations liées au contexte, de la micro-scolarisation à la déscolarisation, en passant par les « pandemic pods » – ces petits groupes d’enfants constitués à l’initiative des parents pour leur faire l’école à domicile. Lorsque les taux de transmission du virus diminueront et que les élèves retourneront à l’école, ces nouvelles formules risquent de perdurer, et c’est le paysage éducatif global qui s’en verra modifié.
Voyez-vous ces changements d’un œil positif ?
Absolument. Des réformes étaient nécessaires depuis longtemps et la pandémie va finalement forcer le système éducatif à évoluer. Je pense notamment à la question de la fracture numérique, au cœur des débats depuis de nombreuses années, certains élèves n’ayant jusqu’alors pas accès à une connexion internet haut débit, ni à du matériel informatique performant… Ces besoins vont devoir être satisfaits. Je suis impatiente de voir le monde de l’éducation se transformer sous l’impulsion de la pandémie.
La mutation risque d’être longue et d’engendrer, entre-temps, de fortes inégalités parmi les élèves…
C’est évidemment l’une des grandes préoccupations actuelles. La priorité est de faire pression pour que tous les étudiants aient accès à Internet. Il faut réfléchir à la manière dont nous pouvons offrir cet accès aux élèves défavorisés. Nous sommes aussi conscients qu’à travers des phénomènes comme les pandemic pods, des parents sont désormais en mesure de choisir avec qui leur enfant va à l’école, et à côté de qui il s’assoit. Il faut donc réfléchir aux moyens de garantir une école égalitaire, à travers des bourses ou des chèques éducation, par exemple.
En France, 5 à 8 % des élèves auraient abandonné l’école en cours d’année. Quels conseils donneriez-vous aux enseignants pour les mobiliser à nouveau ?
Je pense qu’il s’agit de la responsabilité de l’école, pas nécessairement de celle des enseignants, d’aller chercher les élèves qui n’ont pas pu s’engager dans un apprentissage sur le long terme ces derniers mois. Il faut que, cette année, les travailleurs sociaux des écoles tendent la main aux élèves en difficulté, en se rendant dans les foyers pour s’assurer que les jeunes reviennent à l’école à l’automne. Le rôle des travailleurs sociaux et des conseillers scolaires va être déterminant. Nous devons nous assurer qu’aucun enfant n’est laissé sur le bord du chemin et, pour cela, nous avons besoin de suffisamment d’adultes. C’est pourquoi les fonds supplémentaires sont importants. Nous savons que pour avancer, les enfants ont besoin d’adultes de confiance dans leur vie. Nous devons donc nous assurer qu’il y a suffisamment d’adultes de confiance dans les écoles. Les enseignants ont assez de responsabilités à assumer ; il s’agit de ne pas les surcharger davantage si l’on veut que cette nouvelle année scolaire se déroule dans les meilleures conditions possible.
Propos recueillis par MANON PAULIC
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L’école doit toujours être pensée non pas comme un endroit où l’élève est obligé d’aller, mais comme un lieu où il a envie de se rendre parce qu’il s’y sent à l’aise pour apprendre au sein d’un groupe qui constitue une classe autour d’un adulte qui s’y pose en enseignant. Mais comment faire lorsque l’institution scolaire n’est plus envisagée que sous le prisme du contrôle sanitaire ? Que faire quand elle n’est plus, a priori, que suspectée d’alimenter un possible rebond viral en se faisant complice d’un virus pervers qui prendrait plaisir à prendre d’assaut le corps des plus petits pour atteindre les plus âgés et affirmer sa puissance mortifère ? Comment faire de l’école un lieu où il fait bon vivre alors qu’une sourde peste fait entendre son lugubre murmure juste devant sa porte en menaçant d’y pénétrer au moindre signe de relâchement… Et avec les enfants, surtout dans leur version aggravée, les ados, on se doute bien que du relâchement, il y en aura inévitablement… « Le mot "geste-barrière" [...] n’a rien à faire à l’école » Pour que l’école redevienne autre chose que ce sac d’angoisse et ce ressac d’anxiété, il est urgent d’y reparler de pédagogie et, évidemment, puisqu’il est question de parler, d’utiliser les bons mots pour le faire. Le mot « geste-barrière », par exemple, un terme de virologue, n’a rien à faire à l’école. Il gagne incontestablement à y être remplacé par celui de « geste protecteur », qui évoque davantage, notamment aux oreilles d’un enfant, en quoi consistent ces comportements qui nous disent qu’en se protégeant soi-même, on protège également les autres. Un enfant s’imagine difficilement effectuer des mouvements qui le transforment en « barrières », mais il sait ce que signifie « protéger » et « se protéger ». Les enfants, surtout quand ils sont petits, n’ont pas le sens de la métaphore. Ils sont littéralement l’image qu’ils se forment par les mots. Quant à l’audace pédagogique, il est urgent de la convoquer en pensant la pédagogie de manière positive. Pour cela, il faut sans doute faire plus de place à la réflexion sur les manières d’enseigner et moins à l’obligation de contrôle sanitaire et d’aseptisation des lieux. Parlons davantage de cet « enseignement hybride » qui donne plus d’importance au numérique, sans lui laisser toute la place, et tord enfin le cou à l’enseignement simultané, cet héritage dépassé de l’école lassallienne*, sans doute adapté à l’idée de prêcher pour convertir en une fois un grand nombre d’élèves, mais complètement obsolète quand il est question de rendre les élèves actifs au sein de groupes réduits. Évoquons donc enfin ces classes flexibles qui permettent d’alterner les formes pédagogiques en travaillant notamment en sous-groupes, en « bulles » d’élèves. Réfléchissons aussi concrètement à la mise en place de cours de récréation amovibles qui s’adapteraient sans peine aux différents scénarios pandémiques en permettant à chacun de s’y sentir à sa place Bref, refaisons de la pédagogie parce que c’est cela qu’attendent avec impatience les enseignants… * Fondée en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle, la congrégation des Frères des écoles chrétiennes a mis en œuvre de nombreuses innovations pédagogiques en vue de faciliter l’instruction des enfants pauvres. " }
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