L’enseignement professionnel mis à rude épreuve
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La règle est simple : le nettoyage des locaux des établissements scolaires doit être fait au moins une fois par jour. Ce principe, issu du protocole sanitaire mis en place par l’éducation nationale, n’est pourtant pas de nature à rassurer l’ensemble de la communauté éducative. En particulier les enseignants des 2 330 lycées professionnels qui accueillent près de 650 000 élèves en cette rentrée bousculée, soit près de 30 % des lycéens. Car, qui pour s’occuper de l’entretien des machines en tout genre manipulées par des dizaines de jeunes chaque jour ? Au lycée professionnel Alfred-Costes de Bobigny (Seine-Saint-Denis), c’est au personnel d’entretien que revient la charge de nettoyer une fois par jour l’établissement, du petit matériel aux grosses machines, en passant par les ordinateurs utilisés par les lycéens en atelier. « C’est une énorme charge de travail, s’inquiète Véronique Lynch, 55 ans, enseignante en industrie graphique et impression, surtout quand on sait que les agents n’ont déjà pas le temps de tout nettoyer en temps normal. Dans notre formation, par exemple, le massicot, la plieuse, l’encolleuse, la pelliculeuse, l’assembleuse-piqueuse sont utilisés par les douze élèves de mon atelier, mais aussi par ceux de l’autre groupe. C’est impossible de les désinfecter après chaque séance, ça prendrait un temps fou au détriment des apprentissages et pourtant, au vu des risques de contamination, c’est ce qu’on devrait faire. » Et Véronique Lynch de s’interroger : « J’ai du mal à comprendre. Il y a quelques semaines, on ne pouvait rien faire, rien utiliser et aujourd’hui on nous dit qu’il n’y a presque plus de problème. »
Mathieu Martino, 36 ans, professeur en CAP signalétique et brevet métiers d’art au lycée George-Sand à Domont (Val-d’Oise) exprime les mêmes doutes : « L’établissement demande aux enseignants et aux élèves de désinfecter les claviers et les écrans à l’aide de lingettes mais les agents auront-ils le temps de nettoyer les plotters de découpe, les découpes vinyle, les traceurs que nous utilisons tous ? Je crains que non. Personnellement, je trouve que nous n’avons pas le protocole le plus sain. » Le professeur, qui en est à sa quatrième rentrée à George-Sand, s’étonne que l’éducation nationale n’ait pas demandé aux enseignants de venir plus tôt pour s’organiser en amont. « Il y a les problèmes classiques à gérer en début d’année, ceux des emplois du temps par exemple, mais il y a tout ce protocole à appliquer et à faire respecter. Avec les collègues, on est en contact depuis plusieurs jours pour s’en parler. » Il reconnaît cependant être privilégié sur un point par rapport à d’autres enseignants, ceux des disciplines générales notamment : « Je travaille dans le même atelier, je n’ai pas à changer de salle à chaque heure, je n’ai pas à me trimbaler un cartable surchargé de livres, de polycopiés. Nos effectifs sont réduits, dix ou douze élèves maximum, et nos salles de travail spacieuses. » Un avantage indéniable quand il faut faire respecter les distances physiques à des adolescents.
Farid Banchouri, 44 ans, enseignant en maintenance de véhicules au lycée professionnel Arthur-Rimbaud de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), est lui plutôt serein devant cette rentrée particulière. Et pour cause : son établissement vient de réaliser plusieurs investissements pour faire respecter au mieux le protocole sanitaire : « La direction a fait ajouter des points d’eau et a également remis à neuf les sanitaires. Des distributeurs de gel hydroalcoolique ont été installés un peu partout et de grands écrans d’affichage rappellent les messages de prévention et les gestes-barrières à respecter. » Lui aussi s’estime chanceux d’avoir suffisamment d’espace pour travailler dans de bonnes conditions : « Je vais par exemple pouvoir donner un véhicule ou un moteur sur lesquels mes élèves vont travailler, dans une zone précise. Les élèves seront tous éloignés les uns des autres. » Sa seule interrogation : la capacité des lycéens à accepter les contraintes. « On demande aux élèves de porter le masque pas seulement à l’intérieur des murs mais deux cents mètres autour de l’établissement ! On verra si tout cela sera bien respecté. » Et que faire si certains refusent de mettre leur masque ? « Dans notre lycée, les seuls exemptés sont ceux munis d’un justificatif médical de contre-indication du port du masque, rapporte Véronique Lynch. Mais pour les réfractaires, il faudra être patient et réexpliquer sans cesse. Nous sommes face à des ados qui aiment tester nos limites ! » Farid Banchouri prévient : « On ne va pas exclure pour non-port du masque, cela n’a aucun sens ! C’est à nous de sensibiliser. »
Il y a les élèves, mais aussi les inquiétudes éventuelles des parents. Véronique Lynch doit les rencontrer dans les prochains jours : « Si j’étais à leur place aujourd’hui, je m’interrogerais et je me dirais : "C’est quoi ce bazar ? " Je ne suis pas décisionnaire. Si certains sont sceptiques, je les dirigerai vers la direction. » L’enseignante a déjà prévu de faire quatre pauses durant son atelier d’impression de quatre heures, contre une seule habituellement. « Grâce au petit effectif et aux grands espaces de travail, les élèves pourront s’éloigner les uns des autres, retirer leur masque pour souffler quelques minutes. Mais je sais que ce sera de ma propre responsabilité. » Un tel dispositif n’est effectivement pas prévu dans le protocole du ministère de l’Éducation nationale. De son côté, Mathieu Martino anticipe déjà les réticences de certains parents : « Je m’attends à ce que certains d’entre eux refusent que leurs enfants aient à nettoyer leur poste. Je comprends les familles, leurs angoisses. Il faudra aussi qu’on puisse gérer cela. »
L’autre grande inquiétude ce sont les « périodes de formation en milieu professionnel », nécessaires à la validation du diplôme – soit 22 semaines sur les trois années de bac professionnel et de 12 à 14 semaines, en fonction des spécialités, pour les CAP qui s’étalent sur deux ans. Le confinement avait suspendu les stages du printemps, mais Farid Banchouri a déjà les conventions signées pour ses lycéens qui démarreront leur stage dès le 21 septembre. Pour Véronique Lynch, ellemême ancienne cheffe d’entreprise, c’est la grande incertitude. Elle craint le pire : « La circulaire du ministère prévoit la possibilité de faire démarrer les périodes de formation professionnelle dès le 7 septembre. Mais sur quelle planète vit le ministère ? s’insurge l’enseignante. Que le ministre vienne nous voir, qu’il se déplace dans nos formations. Les patrons de notre réseau, je les contacte régulièrement. Ils sont incapables de nous dire s’ils pourront prendre nos élèves en stage comme ils ont l’habitude de le faire ! Certains craignent même de faire faillite ! Qu’on nous trouve les entreprises pour placer nos lycéens ! » Mathieu Martino partage les mêmes craintes : « J’ai bien peur que les entreprises n’aient pas les moyens humains d’accompagner nos élèves alors qu’elles sont elles-mêmes soumises à beaucoup de contraintes dues à la crise. »
« On se doit de rester serein, tempère Véronique Lynch. Avec ce contexte sanitaire, nous parlons plus de risques, de précautions, de dangers que de notre travail à savoir : enseigner et transmettre. » Mathieu Martino est sur la même longueur d’onde : « J’ai deux cents élèves, dont des secondes qui viennent du collège et qui vont devoir s’adapter à un nouvel environnement dans des conditions très particulières. Ils ont besoin qu’on soit là pour eux. Si nous paniquons, nous pouvons transmettre notre stress aux élèves. C’est la pire chose que l’on pourrait faire. »
« C’est l’occasion de réfléchir à des changements à long terme »
Marie Duru-Bellat
Une des conséquences attendues du confinement et de la généralisation de l’enseignement à distance est un creusement des inégalités scolaires, même si on peine encore à en mesurer l’ampleur, nous dit la sociologue, tout en soulignant l’inventivité et la réactivité de nombreux enseignants. Les con…
[1971]
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On a ressorti les cartables. Qu’en aurait dit Ivan Illich, qui plaidait en 1971 pour Une société sans école (Seuil) ? Après avoir été curé d’une paroisse new-yorkaise, puis vice-recteur de l’université de Porto Rico, ce défenseur de l’écologie et de la décroissance avait élu domicile dan…
De la prudence, mais surtout de l’audace !
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L’école doit toujours être pensée non pas comme un endroit où l’élève est obligé d’aller, mais comme un lieu où il a envie de se rendre parce qu’il s’y sent à l’aise pour apprendre au sein d’un groupe qui constitue une classe autour d’un adulte qui s’y pose en enseignant. Mais comment faire lorsque l’institution scolaire n’est plus envisagée que sous le prisme du contrôle sanitaire ? Que faire quand elle n’est plus, a priori, que suspectée d’alimenter un possible rebond viral en se faisant complice d’un virus pervers qui prendrait plaisir à prendre d’assaut le corps des plus petits pour atteindre les plus âgés et affirmer sa puissance mortifère ? Comment faire de l’école un lieu où il fait bon vivre alors qu’une sourde peste fait entendre son lugubre murmure juste devant sa porte en menaçant d’y pénétrer au moindre signe de relâchement… Et avec les enfants, surtout dans leur version aggravée, les ados, on se doute bien que du relâchement, il y en aura inévitablement… « Le mot "geste-barrière" [...] n’a rien à faire à l’école » Pour que l’école redevienne autre chose que ce sac d’angoisse et ce ressac d’anxiété, il est urgent d’y reparler de pédagogie et, évidemment, puisqu’il est question de parler, d’utiliser les bons mots pour le faire. Le mot « geste-barrière », par exemple, un terme de virologue, n’a rien à faire à l’école. Il gagne incontestablement à y être remplacé par celui de « geste protecteur », qui évoque davantage, notamment aux oreilles d’un enfant, en quoi consistent ces comportements qui nous disent qu’en se protégeant soi-même, on protège également les autres. Un enfant s’imagine difficilement effectuer des mouvements qui le transforment en « barrières », mais il sait ce que signifie « protéger » et « se protéger ». Les enfants, surtout quand ils sont petits, n’ont pas le sens de la métaphore. Ils sont littéralement l’image qu’ils se forment par les mots. Quant à l’audace pédagogique, il est urgent de la convoquer en pensant la pédagogie de manière positive. Pour cela, il faut sans doute faire plus de place à la réflexion sur les manières d’enseigner et moins à l’obligation de contrôle sanitaire et d’aseptisation des lieux. Parlons davantage de cet « enseignement hybride » qui donne plus d’importance au numérique, sans lui laisser toute la place, et tord enfin le cou à l’enseignement simultané, cet héritage dépassé de l’école lassallienne*, sans doute adapté à l’idée de prêcher pour convertir en une fois un grand nombre d’élèves, mais complètement obsolète quand il est question de rendre les élèves actifs au sein de groupes réduits. Évoquons donc enfin ces classes flexibles qui permettent d’alterner les formes pédagogiques en travaillant notamment en sous-groupes, en « bulles » d’élèves. Réfléchissons aussi concrètement à la mise en place de cours de récréation amovibles qui s’adapteraient sans peine aux différents scénarios pandémiques en permettant à chacun de s’y sentir à sa place Bref, refaisons de la pédagogie parce que c’est cela qu’attendent avec impatience les enseignants… * Fondée en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle, la congrégation des Frères des écoles chrétiennes a mis en œuvre de nombreuses innovations pédagogiques en vue de faciliter l’instruction des enfants pauvres. " }
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