Lutte des classes
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C’est un simple cahier, posé à l’entrée de la classe pour accueillir les correspondances entre parents et professeurs. Sur la page de gauche, la date du jeudi 12 mars. À droite, celle du mardi 1er septembre. Témoignage éloquent de ces quelque six mois de hiatus – hormis, pour certains, quelques jours en juin – où les portes des écoles sont restées fermées. Le décor est le même, seuls les accessoires ont changé : masques, thermomètres frontaux et bouteilles de gel ont rejoint la liste des fournitures de rentrée. Un moindre mal après cette vacance scolaire inédite et souvent douloureuse pour les familles.
La principale lutte des classes, cet automne, sera de pouvoir rester ouvertes. L’exemple de La Réunion, où la rentrée était avancée de deux semaines, a donné l’alerte : un millier d’élèves y sont restés confinés après des suspicions de Covid. Et trois jours après la rentrée, ce sont une dizaine d’établissements de métropole qui ont déjà dû se résigner à fermer, tandis qu’une centaine de classes sont suspendues en raison de tests positifs. Un chiffre encore restreint, au regard des 60 000 établissements scolaires de France, mais qui pourrait augmenter rapidement au cours des semaines à venir si la circulation du virus se poursuit.
Pour le ministère de l’Éducation nationale, l’enjeu est multiple. Enjeu sanitaire, évidemment, avec des professeurs en première ligne et des enfants qui, s’ils souffrent moins du virus que leurs aînés, peuvent le transmettre sans crier gare. Les protocoles existent, mais ils doivent encore faire la preuve de leur efficacité, dans des salles de classe qui ne pourront pas être toujours parfaitement aérées. Enjeu pédagogique ensuite : alors que le confinement a déjà creusé les écarts entre les élèves, comment s’assurer que cette année scolaire ne soit pas davantage perturbée ? La question du rattrapage et des programmes va devoir être posée, dans un contexte où la révolution du numérique et de l’enseignement à distance est encore loin d’avoir fait ses preuves. Reste un dernier enjeu, social celui-là, qui voit la question scolaire dépasser le simple périmètre des établissements. Comment assurer le retour au travail des parents si leurs enfants sont renvoyés chez eux ? Si l’école tousse, c’est la société dans son ensemble qui éternue.
Le tableau, pourtant, n’est pas tout noir. Car, à force de soigner sa politique d’hygiène, l’école française pourrait aussi profiter de la crise pour guérir de quelques maux anciens. Mieux reconnaître les inégalités scolaires. S’ouvrir au travail de groupe. Accepter les initiatives locales et les particularités de chacun. Nourri de témoignages de professeurs et d’analyses de pédagogues, ce numéro du 1 se fait l’écho de ces évolutions qui dessinent, peut-être, l’école de demain.
« C’est l’occasion de réfléchir à des changements à long terme »
Marie Duru-Bellat
Une des conséquences attendues du confinement et de la généralisation de l’enseignement à distance est un creusement des inégalités scolaires, même si on peine encore à en mesurer l’ampleur, nous dit la sociologue, tout en soulignant l’inventivité et la réactivité de nombreux enseignants. Les con…
[1971]
Robert Solé
On a ressorti les cartables. Qu’en aurait dit Ivan Illich, qui plaidait en 1971 pour Une société sans école (Seuil) ? Après avoir été curé d’une paroisse new-yorkaise, puis vice-recteur de l’université de Porto Rico, ce défenseur de l’écologie et de la décroissance avait élu domicile dan…
De la prudence, mais surtout de l’audace !
Bruno Humbeeck
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Or, nous alerte le psychopédagogue, l’école ne fonctionne bien que lorsque les élèves ont envie de s’y rendre et qu’ils s’y sentent à l’aise. Pour ce faire, il est urgent de parler de la pandémie aux enfants avec un vocabulaire qui leur est accessible. Surtout, il faut inventer une pédagogie adaptée à la situation et réaménager en fonction les salles de classe et les cours de récréation. ", "articleBody": "La prudence sanitaire quand elle se mâtine de prudence pédagogique ne produit, en matière d’école, que de la désolation. Bien entendu, il n’est pas question en ces temps incertains de prôner l’audace sanitaire en milieu scolaire. Cela, ce serait de la témérité. Et personne, ni les parents, ni les élèves, ni les enseignants, ne voudrait d’une école téméraire. Plus que jamais, par contre, il faut faire preuve d’audace pédagogique et oser réinventer l’école pour qu’elle demeure attractive pour tous et agréable pour chacun. L’école doit toujours être pensée non pas comme un endroit où l’élève est obligé d’aller, mais comme un lieu où il a envie de se rendre parce qu’il s’y sent à l’aise pour apprendre au sein d’un groupe qui constitue une classe autour d’un adulte qui s’y pose en enseignant. Mais comment faire lorsque l’institution scolaire n’est plus envisagée que sous le prisme du contrôle sanitaire ? Que faire quand elle n’est plus, a priori, que suspectée d’alimenter un possible rebond viral en se faisant complice d’un virus pervers qui prendrait plaisir à prendre d’assaut le corps des plus petits pour atteindre les plus âgés et affirmer sa puissance mortifère ? Comment faire de l’école un lieu où il fait bon vivre alors qu’une sourde peste fait entendre son lugubre murmure juste devant sa porte en menaçant d’y pénétrer au moindre signe de relâchement… Et avec les enfants, surtout dans leur version aggravée, les ados, on se doute bien que du relâchement, il y en aura inévitablement… « Le mot "geste-barrière" [...] n’a rien à faire à l’école » Pour que l’école redevienne autre chose que ce sac d’angoisse et ce ressac d’anxiété, il est urgent d’y reparler de pédagogie et, évidemment, puisqu’il est question de parler, d’utiliser les bons mots pour le faire. Le mot « geste-barrière », par exemple, un terme de virologue, n’a rien à faire à l’école. Il gagne incontestablement à y être remplacé par celui de « geste protecteur », qui évoque davantage, notamment aux oreilles d’un enfant, en quoi consistent ces comportements qui nous disent qu’en se protégeant soi-même, on protège également les autres. Un enfant s’imagine difficilement effectuer des mouvements qui le transforment en « barrières », mais il sait ce que signifie « protéger » et « se protéger ». Les enfants, surtout quand ils sont petits, n’ont pas le sens de la métaphore. Ils sont littéralement l’image qu’ils se forment par les mots. Quant à l’audace pédagogique, il est urgent de la convoquer en pensant la pédagogie de manière positive. Pour cela, il faut sans doute faire plus de place à la réflexion sur les manières d’enseigner et moins à l’obligation de contrôle sanitaire et d’aseptisation des lieux. Parlons davantage de cet « enseignement hybride » qui donne plus d’importance au numérique, sans lui laisser toute la place, et tord enfin le cou à l’enseignement simultané, cet héritage dépassé de l’école lassallienne*, sans doute adapté à l’idée de prêcher pour convertir en une fois un grand nombre d’élèves, mais complètement obsolète quand il est question de rendre les élèves actifs au sein de groupes réduits. Évoquons donc enfin ces classes flexibles qui permettent d’alterner les formes pédagogiques en travaillant notamment en sous-groupes, en « bulles » d’élèves. Réfléchissons aussi concrètement à la mise en place de cours de récréation amovibles qui s’adapteraient sans peine aux différents scénarios pandémiques en permettant à chacun de s’y sentir à sa place Bref, refaisons de la pédagogie parce que c’est cela qu’attendent avec impatience les enseignants… * Fondée en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle, la congrégation des Frères des écoles chrétiennes a mis en œuvre de nombreuses innovations pédagogiques en vue de faciliter l’instruction des enfants pauvres. " }
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