La prudence sanitaire quand elle se mâtine de prudence pédagogique ne produit, en matière d’école, que de la désolation. Bien entendu, il n’est pas question en ces temps incertains de prôner l’audace sanitaire en milieu scolaire. Cela, ce serait de la témérité. Et personne, ni les parents, ni les élèves, ni les enseignants, ne voudrait d’une école téméraire. Plus que jamais, par contre, il faut faire preuve d’audace pédagogique et oser réinventer l’école pour qu’elle demeure attractive pour tous et agréable pour chacun. L’école doit toujours être pensée non pas comme un endroit où l’élève est obligé d’aller, mais comme un lieu où il a envie de se rendre parce qu’il s’y sent à l’aise pour apprendre au sein d’un groupe qui constitue une classe autour d’un adulte qui s’y pose en enseignant.

Mais comment faire lorsque l’institution scolaire n’est plus envisagée que sous le prisme du contrôle sanitaire ? Que faire quand elle n’est plus, a priori, que suspectée d’alimenter un possible rebond viral en se faisant complice d’un virus pervers qui prendrait plaisir à prendre d’assaut le corps des plus petits pour atteindre les plus âgés et affirmer sa puissance mortifère ? Comment faire de l’école un lieu où il fait bon vivre alors qu’une sourde peste fait entendre son lugubre murmure juste devant sa porte en menaçant d’y pénétrer au moindre signe de relâchement… Et avec les enfants, surtout dans leur version aggravée, les ados, on se doute bien que du relâchement, il y en aura inévitablement…

« Le mot "geste-barrière" [...] n’a rien à faire à l’école »

Pour que l’école redevienne autre chose que ce sac d’angoisse et ce ressac d’anxiété, il est urgent d’y reparler de pédagogie et, évidemment, puisqu’il est question de parler, d’utiliser les bons mots pour le faire.

Le mot « geste-barrière », par exemple, un terme de virologue, n’a rien à faire à l’école. Il gagne incontestablement à y être remplacé par celui de « geste protecteur », qui évoque davantage, notamment aux oreilles d’un enfant, en quoi consistent ces comportements qui nous disent qu’en se protégeant soi-même, on protège également les autres. Un enfant s’imagine difficilement effectuer des mouvements qui le transforment en « barrières », mais il sait ce que signifie « protéger » et « se protéger ». Les enfants, surtout quand ils sont petits, n’ont pas le sens de la métaphore. Ils sont littéralement l’image qu’ils se forment par les mots.

Quant à l’audace pédagogique, il est urgent de la convoquer en pensant la pédagogie de manière positive. Pour cela, il faut sans doute faire plus de place à la réflexion sur les manières d’enseigner et moins à l’obligation de contrôle sanitaire et d’aseptisation des lieux. Parlons davantage de cet « enseignement hybride » qui donne plus d’importance au numérique, sans lui laisser toute la place, et tord enfin le cou à l’enseignement simultané, cet héritage dépassé de l’école lassallienne*, sans doute adapté à l’idée de prêcher pour convertir en une fois un grand nombre d’élèves, mais complètement obsolète quand il est question de rendre les élèves actifs au sein de groupes réduits. Évoquons donc enfin ces classes flexibles qui permettent d’alterner les formes pédagogiques en travaillant notamment en sous-groupes, en « bulles » d’élèves. Réfléchissons aussi concrètement à la mise en place de cours de récréation amovibles qui s’adapteraient sans peine aux différents scénarios pandémiques en permettant à chacun de s’y sentir à sa place

Bref, refaisons de la pédagogie parce que c’est cela qu’attendent avec impatience les enseignants… 

* Fondée en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle, la congrégation des Frères des écoles chrétiennes a mis en œuvre de nombreuses innovations pédagogiques en vue de faciliter l’instruction des enfants pauvres.

 

 

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