La révolution numérique attendra
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Lundi 16 mars 2020, les écoles, collèges et lycées de France ont fermé leurs portes, ouvrant la voie à une période inédite, celle d’une éducation faisant la part belle à l’enseignement à distance et à l’usage du numérique. Un pas décisif vers la mort programmée du système pédagogique tel que nous le connaissons ? Rien n’est moins sûr, disent ensemble professeurs et élèves au moment de tirer les enseignements de leurs expériences de l’école à la maison…
En classe de philosophie au lycée Alain du Vésinet, ce temps de confinement a été celui du questionnement. Il a fallu distinguer, en suivant les pas de Hannah Arendt, le temps vide du temps libre, ou encore étudier le surgissement de l’événement dans le déroulement historique. L’enseignante Aïda Ndiaye a saisi ce moment particulier pour engager ses élèves à interroger le présent, à saisir leur époque. Mais l’intrusion du numérique dans les méthodes d’enseignement a provoqué un violent séisme chez tous les professeurs : sans avoir en général bénéficié de formation, il leur a fallu faire avec les outils proposés par l’éducation nationale et également avec les moyens du bord.
« Je faisais plutôt des cours magistraux classiques avant le confinement et je n’utilisais pas les outils numériques, explique Aïda Ndiaye. La mise en place a été laborieuse : rien ne marchait pendant les premiers jours. Les élèves se sont tournés vers des applications du type Discord ; j’ai dit non, car il y a un réel problème de confidentialité des données et il est interdit d’utiliser ces applications dans le cadre du lycée. »
Entre « la classe virtuelle » proposée par le CNED et l’application Pronote, élèves et professeurs ont eu la possibilité d’assister à des cours magistraux, de poster des contenus et de consulter leurs agendas et cahiers de correspondance en ligne. « J’enseigne dans un lycée où les élèves sont globalement issus de milieux privilégiés : ils avaient presque tous accès à un ordinateur pour étudier. Mais j’ai été très dérangée par le fait qu’on leur demande de passer leur journée devant un écran. La pression sur eux était très forte », s’inquiète la professeure de philosophie.
L’école à la maison et l’utilisation du numérique posent avant tout des problèmes matériels à ceux qui doivent y recourir : Étienne Brousse, professeur de sciences à Clamart, est le référent numérique de son lycée.
C’est lui qui est chargé de faire le lien entre les professeurs et les outils numériques mis à leur disposition. « Les outils, l’environnement numérique de travail (ENT), existaient déjà avant, mais très peu de professeurs les utilisaient. Tout le monde a été obligé de s’y mettre d’un coup et les trois premiers jours, ça a été très compliqué », avoue l’enseignant.
En Île-de-France, c’est quasiment 600 000 élèves qui étaient susceptibles de se connecter en même temps. Un raz-de-marée éducatif qui a bouleversé le travail des élèves, mais aussi la pratique des professeurs. Haude de Roux est professeure de lettres et de langues anciennes (LLCA : littérature, langues et cultures de l’Antiquité) en région parisienne dans un lycée général et technologique. Dans cette banlieue plutôt préservée, l’établissement accueille des élèves de plusieurs villes avoisinantes. La grande mixité sociale du collège et du lycée a rendu la pratique de l’enseignement à distance plus compliquée : certains élèves n’avaient pas accès à un ordinateur, ou à une bonne connexion. Le lycée a prêté des appareils.
Comme partout ailleurs, l’exacerbation des inégalités sociales pendant le confinement a eu de fortes répercussions sur tous les aspects de l’enseignement à distance, de l’assiduité à l’accès à de bonnes conditions de travail. L’un ne va pas sans l’autre. L’académie de Versailles met ainsi un ordinateur à la disposition de chaque élève de seconde dès le mois de septembre.
Reste que, selon les disciplines et les professeurs, l’utilisation des outils numériques n’était pas la même. « J’écoute énormément la radio et je me suis servie de ce média pour travailler avec mes élèves sur des podcasts de France Culture, explique Haude de Roux. J’ai finalement peu utilisé les outils de l’éducation nationale, mais j’ai inventé à partir de ce que j’avais à ma disposition. » À son tour, la professeure de lettres enregistre des podcasts de dix minutes pour ses élèves : « Une explication de texte et quelques points clés sous une forme facile à utiliser par les élèves sur leurs téléphones. Je continuerai ce format à la rentrée. En revanche, je pense que le cadre du cours et la présence du professeur sont irremplaçables : nous exerçons un métier de représentation, le contact est essentiel. »
Le cours magistral reste un impondérable, mais la classe virtuelle où élèves et professeurs se connectent ensemble pour une heure de cours a quant à elle mal fonctionné de manière générale : « Vous m’entendez ? Je ne vous vois plus, déconnectez vos micros, etc. » La liste de ce qui peut faire obstacle à un moment de compréhension mutuelle est longue. Mais, pour l’ensemble des professeurs, le problème majeur est venu du flou des directives du ministère de l’Éducation nationale et de la liberté laissée à chaque établissement, voire à chaque professeur, d’utiliser comme ils le voulaient les logiciels à sa disposition.
« Nous naviguions à vue, sans voix officielle, et cela demandait un temps fou de s’adapter à cette nouvelle pédagogie », confirme Haude de Roux. Une problématique à laquelle de nouvelles pratiques doivent répondre en cette rentrée :« Chaque enseignant utilisait l’un ou l’autre des outils mis en place, à des horaires différents, pour y intégrer des contenus différents : les élèves étaient perdus. Nous avons mis en place une charte pour l’école à la maison qui va harmoniser la pratique », explique Étienne Brousse, qui a reçu pendant le confinement un nombre incalculable de messages de collègues également perdus dans ce nouvel environnement numérique.
Le climat particulier de cette nouvelle rentrée des classes oblige les professeurs et les élèves à s’adapter aux nouvelles contraintes sanitaires. Une nouvelle vague de l’épidémie pourrait à nouveau fermer les portes des écoles, même si cette éventualité semble peu probable à grande échelle. La crainte reste toutefois réelle pour Aïda Ndiaye : « J’espère que nous échapperons à un nouveau confinement : la pression que ce type d’enseignement à distance impose aux élèves est trop importante. Néanmoins, nous pouvons tirer du numérique de bons éléments de travail. »
En novembre 2020 se tiendront à Poitiers des « états généraux du numérique » qui devront permettre au ministère de l’Éducation nationale de se faire une idée très précise des répercussions de la crise sanitaire en matière d’éducation à distance. En Île-de-France, par exemple, le virage numérique amorcé en 2019 est étendu, et ce seront 100 % des lycéens qui seront équipés d’outils par la région cette année, soit un budget de 180 millions d’euros alloué sur deux ans. Au-delà du bond en avant technologique, la crise sanitaire a démontré la nécessité absolue de réduire la fracture numérique et les inégalités qu’elle engendre. Une prise de conscience salutaire, à défaut de la révolution numérique promise.
« C’est l’occasion de réfléchir à des changements à long terme »
Marie Duru-Bellat
Une des conséquences attendues du confinement et de la généralisation de l’enseignement à distance est un creusement des inégalités scolaires, même si on peine encore à en mesurer l’ampleur, nous dit la sociologue, tout en soulignant l’inventivité et la réactivité de nombreux enseignants. Les con…
[1971]
Robert Solé
On a ressorti les cartables. Qu’en aurait dit Ivan Illich, qui plaidait en 1971 pour Une société sans école (Seuil) ? Après avoir été curé d’une paroisse new-yorkaise, puis vice-recteur de l’université de Porto Rico, ce défenseur de l’écologie et de la décroissance avait élu domicile dan…
De la prudence, mais surtout de l’audace !
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Or, nous alerte le psychopédagogue, l’école ne fonctionne bien que lorsque les élèves ont envie de s’y rendre et qu’ils s’y sentent à l’aise. Pour ce faire, il est urgent de parler de la pandémie aux enfants avec un vocabulaire qui leur est accessible. Surtout, il faut inventer une pédagogie adaptée à la situation et réaménager en fonction les salles de classe et les cours de récréation. ", "articleBody": "La prudence sanitaire quand elle se mâtine de prudence pédagogique ne produit, en matière d’école, que de la désolation. Bien entendu, il n’est pas question en ces temps incertains de prôner l’audace sanitaire en milieu scolaire. Cela, ce serait de la témérité. Et personne, ni les parents, ni les élèves, ni les enseignants, ne voudrait d’une école téméraire. Plus que jamais, par contre, il faut faire preuve d’audace pédagogique et oser réinventer l’école pour qu’elle demeure attractive pour tous et agréable pour chacun. L’école doit toujours être pensée non pas comme un endroit où l’élève est obligé d’aller, mais comme un lieu où il a envie de se rendre parce qu’il s’y sent à l’aise pour apprendre au sein d’un groupe qui constitue une classe autour d’un adulte qui s’y pose en enseignant. Mais comment faire lorsque l’institution scolaire n’est plus envisagée que sous le prisme du contrôle sanitaire ? Que faire quand elle n’est plus, a priori, que suspectée d’alimenter un possible rebond viral en se faisant complice d’un virus pervers qui prendrait plaisir à prendre d’assaut le corps des plus petits pour atteindre les plus âgés et affirmer sa puissance mortifère ? Comment faire de l’école un lieu où il fait bon vivre alors qu’une sourde peste fait entendre son lugubre murmure juste devant sa porte en menaçant d’y pénétrer au moindre signe de relâchement… Et avec les enfants, surtout dans leur version aggravée, les ados, on se doute bien que du relâchement, il y en aura inévitablement… « Le mot "geste-barrière" [...] n’a rien à faire à l’école » Pour que l’école redevienne autre chose que ce sac d’angoisse et ce ressac d’anxiété, il est urgent d’y reparler de pédagogie et, évidemment, puisqu’il est question de parler, d’utiliser les bons mots pour le faire. Le mot « geste-barrière », par exemple, un terme de virologue, n’a rien à faire à l’école. Il gagne incontestablement à y être remplacé par celui de « geste protecteur », qui évoque davantage, notamment aux oreilles d’un enfant, en quoi consistent ces comportements qui nous disent qu’en se protégeant soi-même, on protège également les autres. Un enfant s’imagine difficilement effectuer des mouvements qui le transforment en « barrières », mais il sait ce que signifie « protéger » et « se protéger ». Les enfants, surtout quand ils sont petits, n’ont pas le sens de la métaphore. Ils sont littéralement l’image qu’ils se forment par les mots. Quant à l’audace pédagogique, il est urgent de la convoquer en pensant la pédagogie de manière positive. Pour cela, il faut sans doute faire plus de place à la réflexion sur les manières d’enseigner et moins à l’obligation de contrôle sanitaire et d’aseptisation des lieux. Parlons davantage de cet « enseignement hybride » qui donne plus d’importance au numérique, sans lui laisser toute la place, et tord enfin le cou à l’enseignement simultané, cet héritage dépassé de l’école lassallienne*, sans doute adapté à l’idée de prêcher pour convertir en une fois un grand nombre d’élèves, mais complètement obsolète quand il est question de rendre les élèves actifs au sein de groupes réduits. Évoquons donc enfin ces classes flexibles qui permettent d’alterner les formes pédagogiques en travaillant notamment en sous-groupes, en « bulles » d’élèves. Réfléchissons aussi concrètement à la mise en place de cours de récréation amovibles qui s’adapteraient sans peine aux différents scénarios pandémiques en permettant à chacun de s’y sentir à sa place Bref, refaisons de la pédagogie parce que c’est cela qu’attendent avec impatience les enseignants… * Fondée en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle, la congrégation des Frères des écoles chrétiennes a mis en œuvre de nombreuses innovations pédagogiques en vue de faciliter l’instruction des enfants pauvres. " }
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