Le Chili s’étire sur près de 38 parallèles, jusqu’à la Terre de Feu où les moutons ont remplacé les Indiens Yagans. Après, c’est l’Antarctique, sans plus d’autochtones à massacrer. Une terre encore vierge que chante Pablo Neruda dans son monument à la gloire de l’Amérique latine, ses paysages et ses peuples exploités, Chant général

Antarctique, couronne australe, grappe 
de lampes gelées, cinéraire 
de glace détachée 
de la peau terrestre, église brisée 
par la pureté, nef précipitée 
sur la cathédrale de la blancheur, 
autel aux vitres fracassées, 
tornade étoilée sur les murs 
de la neige nocturne, 
donne-moi tes deux seins qu’agitent 
la solitude envahisseuse, le lit 
de l’effroyable vent masqué 
par toutes les corolles de l’hermine, 
avec toutes les trompes du naufrage 
et l’immersion blanche des mondes, 
ou ta poitrine de paix que le froid  
nettoie comme un pur rectangle de quartz, 
et ce qui ne fut jamais respiré, 
l’infini matériel transparent, l’air ouvert, 
la solitude sans terre et sans pauvreté. 
Royaume du midi le plus sévère, 
harpe de glace, harpe qui susurre, immobile, 
près des étoiles ennemies. 
Toutes les mers sont ta mer circulaire. (…) 
Depuis la nef des glaciers, tes coupoles 
ont mis au monde le danger, 
et sur le désert de ton dos la vie est là 
comme une vigne sous la mer, brûlant 
sans se consumer, réservant 
le feu pour le printemps de la neige. 

Pablo Neruda, Chant général, traduit par Claude Couffon © Éditions Gallimard, 1977

 

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