L’idée du Polar Pod est née dans mon esprit pour répondre à un objectif précis : combler notre manque de connaissances sur l’océan Austral. Pour des questions de conditions météorologiques, les missions s’y sont toujours déroulées sur de courtes durées, et uniquement en été. Pour récolter des données sur le long terme, et notamment en hiver, il fallait imaginer un navire capable de supporter les cinquantièmes hurlants – des vents extrêmes à l’origine du courant circumpolaire, un courant océanique, le plus puissant de la planète, qui encercle l’Antarctique – et de garder sa stabilité sur une mer très agitée. Ce navire a pris la forme d’un vaisseau vertical, muni d’un tirant d’eau de 80 mètres de long et d’un lest de 150 tonnes. Il échappe par sa structure à l’agitation des vagues et offre aux scientifiques à son bord la stabilité nécessaire pour travailler. Au plus fort des tempêtes, les secousses ressenties devraient être similaires à celles perçues à bord d’un TGV lorsqu’on se déplace de son siège au wagon-bar. Le Polar Pod est une véritable prouesse technologique. C’est un peu ma cathédrale, j’y travaille depuis dix ans.

Ce vaisseau s’apparente à la Station spatiale internationale pour plusieurs raisons. Comme elle, il tournera en orbite, cette fois-ci autour de l’Antarctique. Niché au cœur du courant circumpolaire, il effectuera, en l’espace de trois ans, deux fois le tour du Continent blanc, et donc celui de la Terre. Cette station océanographique a un caractère international : quarante-trois institutions, rattachées à douze pays, participent au projet. Et comme l’ISS, le Polar Pod sera doté d’une multitude de capteurs opérés par une toute petite équipe d’ingénieurs. Enfin, l’équipage sera relevé tous les deux mois, en pleine mer, par un navire baptisé Persévérance, qui attendra toujours au port le plus proche. Celui-ci voguera ainsi de l’Afrique à l’Amérique du Sud, en passant par La Réunion, Kerguelen, la côte australienne et la Tasmanie.

« Le Polar Pod est une véritable prouesse technologique. C’est un peu ma cathédrale, j’y travaille depuis dix ans »

Les buts de la mission sont multiples. L’océan Austral, parce qu’il est une immensité d’eau froide, riche en phytoplancton, est le principal puits de carbone océanique de la planète. Il joue donc un rôle régulateur déterminant sur le climat : il absorberait la moitié du CO2 capté par l’ensemble des océans sur Terre. Le premier objectif sera de mesurer avec plus de précision cette performance d’échange entre l’atmosphère et l’océan. Le deuxième concerne la biodiversité. Le Polar Pod, parce qu’il est dépourvu de moteur et de groupe électrogène, est un navire silencieux qui va nous permettre de faire un inventaire de la faune marine par acoustique. L’océan sera sous écoute en permanence, pendant toute la durée de la mission, par le biais d’hydrophones. Un troisième objectif sera d’analyser l’impact des activités humaines sur l’Antarctique à travers des prélèvements d’eau de mer. Loin des continents industriels, trouvera-t-on des pesticides, des métaux lourds ou des microplastiques ? En quelle quantité ? Enfin, cette présence continue en mer nous permettra, en collaboration avec les agences spatiales, de valider un certain nombre de mesures satellitaires.

Cet enrichissement de notre connaissance de l’océan Austral devrait nous aider à défendre un projet dont nous sommes, parmi d’autres, les porte-parole : la création de deux aires marines protégées, l’une au large de la terre Adélie, l’autre en mer de Weddell. La France, l’Union européenne et l’Australie soutiennent déjà cette ambition, mais deux puissances continuent de s’y opposer : la Russie et la Chine. La protection de ces espaces constitue un effort diplomatique permanent. 

 

Conversation avec MANON PAULIC

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