L’épais tapis de neige se fige, les glaciers sont immobiles, la banquise est silencieuse. Les icebergs dérivent au gré des vents et des courants, éternels mastodontes solitaires. Aucune population autochtone. Pas de végétation. Hormis les colonies de manchots empereurs, quelques équipes scientifiques et des bateaux transportant les visiteurs d’un jour, le Continent blanc s’apparente à un immense désert hostile. Voilà pour le décor et le jeu d’illusions ! La réalité est tout autre, à la fois plus complexe et plus dynamique. En Antarctique, la profusion vitale a beau échapper au premier regard, elle n’en est pas moins omniprésente.

La glace bouge sans cesse, elle grince, hurle, puis se casse et chute dans l’océan en libérant des sels minéraux. Même les circonvolutions aériennes des cormorans et des pétrels se concluent dans les eaux froides. Là, on peut observer les comportements sociaux des baleines bleues et des phoques de Weddell, décoder le fascinant métabolisme des Notothenioidei, ces poissons qui sécrètent des protéines antigel, ou approcher les univers mystérieux des calmars des glaces et du krill antarctique. C’est un monde très sonore. Dans les profondeurs du plateau continental s’échangent des flopées de messages dont les ondes se propagent bien au-delà. Les icebergs s’expriment eux aussi lorsqu’ils labourent les fonds avec leur quille, prélèvent une partie des écosystèmes benthiques et les replantent ailleurs, en véritables agriculteurs de la mer. Au moyen d’hydrophones, les océanographes tentent de déchiffrer la grande partition vocale de l’océan Austral.

La biodiversité terrestre de l’Antarctique foisonne à sa manière. Une loupe suffit à provoquer un formidable vertige. Dans l’un de ses livres – The Symbiotic Planet –, la microbiologiste Lynn Margulis, qui a renouvelé la théorie de l’évolution, mentionne les vallées sèches et ventées de la terre Victoria. Dans cette région située entre la mer de Ross et la terre Adélie, des lichens se nichent sous les roches, à quelques millimètres de la surface. Ils se développent dans les interstices en captant les rayons du soleil à travers les cristaux du quartz. Mixtes de champignons, d’algues et d’une multitude de bactéries, ces communautés biotiques effritent dans le sol les blocs de grès auxquels elles adhèrent et offrent des nutriments précieux aux plantes.

« La leçon est claire : en Antarctique, il vaut mieux s’associer. Pas de salut en dehors de l’accueil. Comme partout ailleurs, la vie exige la solidarité. »

Des centaines de millions d’années auparavant, lorsque les premiers végétaux sortaient de l’eau et colonisaient la terre, les lichens illustraient déjà le travail de la « symbiose », ce « système dans lequel des membres d’espèces différentes vivent en contact physique ». Cette loi de la vie règne toujours jusque dans les milieux les plus extrêmes. Les espèces coopèrent, elles interagissent, s’entremêlent et s’incorporent. Les réseaux alimentaires s’appuient sur de tels partenariats qui produisent, à terme, de nouveaux êtres. Avec les lichens, on comprend que l’évolution est, depuis l’aube des temps, une coévolution.

La leçon est claire : en Antarctique, il vaut mieux s’associer. Pas de salut en dehors de l’accueil. Comme partout ailleurs, la vie exige la solidarité. L’hospitalité est la condition pour que chaque écosystème conserve sa richesse propre et demeure capable de se régénérer. Dans les glaces du Grand Sud aussi, les chaînes de cohabitation entre les vivants doivent être préservées. 

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