Dernière escale avant la fin du monde, l’Antarctique est aussi le dernier espace sur Terre largement préservé. En marge de son cœur de glace, une faune et une flore parfaitement adaptées évoluent pourtant loin du monde des humains. Ils sont quelques milliers de scientifiques à venir, chaque année, étudier ces différents écosystèmes polaires, baromètres du changement climatique. Climatologues, chimistes, biologistes, océanographes et explorateurs nous donnent ici des nouvelles fraîches du continent austral.

 

L’Antarctique en bref

• Le socle rocheux de l’Antarctique s’étend sur 14 millions de km2, dont 280 000 km2 libres de glace. En hiver, la banquise forme une surface d’environ 20 millions de km2.

• Sur les côtes, la température moyenne s’élève à - 10 °C. Durant l’été austral (octobre-février), un record de 20,75 °C a récemment été enregistré dans la péninsule. Pendant l’hiver austral (mars-septembre), en pleine nuit polaire, la température peut baisser jusqu’à - 98 °C.

• Le continent est traversé par les monts Transantarctiques, une chaîne de montagnes de 3 500 km de long, avec une altitude moyenne de 2 500 m.

• L’épaisseur de l’inlandsis, la calotte glaciaire qui recouvre la quasi-totalité du continent, atteint 5 000 mètres dans certaines régions.

• Environ 7 000 scientifiques et logisticiens sont missionnés chaque année en Antarctique. Personne n’y vit de manière permanente.

• Plus de 80 stations scientifiques, permanentes ou estivales, ont été établies sur ou à proximité du continent austral.

• 74 500 touristes se sont rendus en Antarctique en 2019-2020, soit 32 % de plus que durant la saison précédente.

• À ce jour, 138 volcans ont été découverts. Le doute persiste quant à leur activité.

 

L’impact de l’activité humaine

La glace, baromètre du changement climatique…

Dans la baie d’Amundsen, le glacier Thwaites inquiète la communauté scientifique. Sa taille – 120 kilomètres de large, 600 de long et 3 de profondeur – fait de lui l’un des plus gros glaciers de l’Antarctique de l’Ouest. Depuis les années 2000, sa vitesse d’écoulement s’accélère et il menace désormais de s’effondrer. En cause, la hausse des températures. La calotte glaciaire, lorsqu’elle arrive en mer, forme une plateforme de glace qui flotte sur l’océan.

Ces plateformes, également appelées « barrières de glace » ou « ice-shelfs », freinent l’écoulement naturel du glacier. Parce que l’eau est plus chaude que la glace, les ice-shelfs fondent très progressivement par le fond. Avec la hausse des températures, le phénomène s’accélère et la glace se met à fondre aussi en surface. « Les ice-shelfs s’amincissent parfois tellement qu’ils se cassent, explique Catherine Ritz, glaciologue, directrice de recherche à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble. Or, si la plateforme se détache, le glacier coule plus vite, comme l’eau d’une baignoire une fois qu’on a ôté la bonde. »

Déstabilisée, la calotte risque alors de s’affaisser et, à terme, de provoquer une hausse du niveau des mers significative.Le réchauffement climatique affecte la région de manière hétérogène. Alors que l’Antarctique de l’Est est pour l’instant encore épargné, l’Antarctique de l’Ouest subit ses effets concrets. La péninsule est particulièrement touchée. En 2020, un record de chaleur y a été atteint, avec une température maximale de 20,75 °C enregistrée par la station argentine Marambio, en mer de Weddell. Dans cette même région, la barrière de Larsen s’est désintégrée en trois étapes entre 1995 et 2017, libérant l’un des plus grands icebergs connus à ce jour, l’iceberg A-68. Sa surface était alors estimée à 5 800 km2, l’équivalent d’un département comme la Corrèze. Il s’est depuis scindé en plusieurs parties.

… et mémoire de la planète

Depuis un demi-siècle, les carottes de glace forées en Antarctique documentent l’évolution du climat grâce à l’étude des bulles d’air piégées dans la glace. La carotte Epica Dôme C, dont le forage a commencé en 1996, a permis d’analyser la composition atmosphérique de la planète sur 800 000 ans. C’est aujourd’hui la plus ancienne glace connue.

Fluor, brome et microplastiques

Par son isolement géographique, l’Antarctique est un continent relativement préservé de la pollution industrielle. Le courant circumpolaire, le plus puissant de la planète, constitue une barrière de protection sous-marine naturelle. Les précipitations, quasi constantes au-dessus de l’océan Austral, lessivent l’atmosphère et le purifient de ses saletés. L’Antarctique est ainsi l’« un des derniers espaces naturels où l’on peut encore observer le bruit de fond de la nature », explique le chimiste Joël Savarino, en mission sur la base franco-italienne Concordia. Les polluants primaires généralement présents dans les centres urbains – ozone, oxyde d’azote, soufre, benzène, etc. – sont absents de l’atmosphère. Deux types de polluants émergents ont néanmoins fait leur apparition, en concentrations infimes : des microplastiques, retrouvés dans la chaîne alimentaire et jusque dans la neige, et des composés fluorés et bromés, utilisés notamment comme désherbants et comme insecticides. « Bien qu’ils ne déstabilisent pas les écosystèmes à ce stade, ces polluants à très longue durée de vie sont à surveiller, car on ne connaît pas leurs modes de dégradation dans la nature », souligne le chercheur. 

 

La flore et la faune

Une flore essentiellement sous-marine

la flore antarctique est particulièrement adaptée aux conditions climatiques extrêmes. L’essentiel de la vie végétale se déroule dans l’océan. « Quand on plonge sous l’Antarctique, c’est une explosion de couleurs », raconte Hélène Dubrasquet, biologiste marine à l’université australe du Chili. On croise une multitude d’algues vertes, rouges et brunes. Environ 130 espèces sont à ce jour répertoriées dans la région. « Elles forment une sorte de tapis végétal, parfois dense de plusieurs mètres, bien différent des forêts sous-marines que l’on peut trouver au large de l’Afrique du Sud, précise la chercheuse. Elles doivent leur survie à leur morphologie rampante, utile pour éviter les icebergs qui raclent le fond des océans comme des bulldozers. » Si leur apport premier est de soutenir la base de la chaîne alimentaire, macroalgues et phytoplancton contribuent aussi massivement à l’absorption du CO2. Ils sont le pendant marin des forêts d’arbres sur terre.

Sur le continent, recouvert à 99,6 % de glace, la flore est quasiment absente. On trouve de la mousse et du lichen sur les côtes où la terre est dégagée. Deux espèces de plantes endémiques se sont également développées dans la péninsule : la canche, aussi appelée Deschampsia antarctica, et la sagine, dite Colobanthus quitensis. Dana Bergstrom, écologue australienne ayant étudié l’environnement autour de la station Casey, craint à terme un déséquilibre de certains écosystèmes si les conditions climatiques venaient à s’améliorer sur la longue durée. « Le risque, dit-elle, est de voir des espèces non indigènes s’implanter en Antarctique et supplanter les espèces locales. » 

Du krill à la baleine, une faune adaptée à l’extrême

Si l’Antarctique devait s’incarner, il prendrait la forme d’un manchot Adélie. Avec ses quelque 7,6 millions d’individus, cette espèce d’oiseau marin, inapte au vol mais excellent nageur, est l’emblème du continent. Comme la plupart des animaux de la région, il passe la quasi-totalité de son temps en mer, le socle rocheux lui servant surtout de lieu de reproduction. Parce qu’il est facilement observable par satellite, il est très étudié par la communauté scientifique. Pour Yan Ropert-Coudert, spécialiste en écologie marine, le manchot Adélie est un véritable allié, une sorte d’« auxiliaire océanographique ». Grâce à la technologie du bio-logging qui permet d’enregistrer de nombreuses données, certains individus équipés de capteurs électroniques l’aident à explorer les écosystèmes antarctiques. « Le manchot est un très bon indicateur pour la glace de mer, précise ce chercheur de la station Dumont d’Urville. La glace est un frein à la pénétration des ondes satellitaires, on a donc très peu d’informations sur ce qui se passe sous sa couche. Le manchot nous donne accès à des données qu’il serait très compliqué d’avoir par nous-mêmes. » Le manchot Adélie permet ainsi d’étudier de plus près le krill, un minuscule crustacé qui constitue la base de l’alimentation dans l’océan Austral. Ce dernier se trouve au cœur de « l’une des chaînes alimentaires les plus simples au monde », indique Guy Jacques, océanographe spécialiste du plancton. Celle-ci comporte seulement trois échelons : phytoplancton-krill-baleine. Présent par centaines de millions de tonnes, le krill est l’une des espèces les plus abondantes de la planète. Le fait qu’il se rassemble en essaims permet au krill « d’arriver sur une floraison de phytoplancton importante et de la consommer très rapidement », poursuit le biologiste. Les essaims, qui peuvent abriter jusqu’à 30 000 individus par mètre cube d’eau, permettent aussi aux baleines de s’en nourrir sans dépenser trop d’énergie.

La faune antarctique, bien que relativement préservée, pourrait, elle aussi, pâtir du changement climatique. Des épisodes récents ont mis en lumière la fragilité de ses espèces. En 2017, une colonie de 20 000 manchots Adélie a échoué à se reproduire. En cause, une banquise anormalement épaisse. « Au fil de l’été austral, la banquise fond progressivement et libère des accès qui permettent aux manchots d’aller chercher de la nourriture pour leurs petits », explique Yan Ropert-Coudert. Cet été-là, les glaces sont restées fermées. Quelques années plus tôt, cette même colonie avait vu l’intégralité de ses poussins périr à cause d’une météo particulièrement humide. « Le duvet des poussins leur permet de résister au froid sec, pas aux précipitations, poursuit le scientifique. Avec un duvet mouillé et des vents catabatiques [vents très froids, en provenance du plateau continental] à 300 kilomètres par heure, les poussins sont morts de froid. » 

  1.  Le krill est un petit crustacé qui, à l’âge adulte, mesure environ 2 cm. Il se nourrit d’algues sous la glace et régule ainsi le phytoplancton.
  2.  la baleine franche australe, Longtempschassée pour son huile, est désormais protégée. Elle évolue dans les eaux subantarctiques.
  3.  l’océanite de Wilson est un oiseau migrateur très endurant. Il rejoint l’Arctique pour se nourrir au moment de l’hiver austral.
  4.  Le skua est un charognard nichant sur les côtes de l’Antarctique. Il se nourrit, entre autres, de carcasses de manchots et de pétrels des neiges.
  5.  Le manchot Adélie fut découvert par deux naturalistes français en 1841, lors de l’expédition Dumont d’Urville.
  6.  Le phoque de Ross vit sur les glaces flottantes de l’Antarctique. Difficile à étudier, il reste assez méconnu des biologistes.

 

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