« Le fond gris sur lequel se profilaient les coupoles se déchira soudain, et l’on vit apparaître dans la grisaille un soleil tout à fait inattendu. C’était un soleil énorme, tel que personne en Ukraine n’en avait jamais vu, et parfaitement rouge, comme du sang frais. De la grosse boule, dont les rayons traversaient avec peine le rideau des nuages, s’écoulaient de longues traînées régulières de sang séché mêlé de pus. La coupole maîtresse de Sainte-Sophie se teignit de couleurs sanglantes, et le parvis se couvrit d’une ombre étrange, dans laquelle Bogdan* devint violet et où la foule houleuse parut encore plus noire, plus épaisse, plus confuse. Sur l’escalier découpé dans le rocher qui portait la statue, on vit grimper des silhouettes grises sanglées de cuir, qui essayèrent d’effacer à l’aide de baïonnettes l’inscription gravée dans le granit noir. Mais les baïonnettes s’acharnaient et glissaient vainement sur le granit. »

* La statue du cosaque Bogdan Khmelnytsky, érigée en 1888.

 

La Garde blanche (1926), trad. du russe par Claude Ligny, Robert Laffont, 2017.

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