Quelle place tient le cinéma en Iran ?

Dès le début du XXe siècle, le cinéma iranien a pris une place importante dans la société iranienne. Avec la Révolution islamique, celui-ci est paradoxalement devenu encore plus prospère et plus reconnu. Dès les premières années de la révolution, les cinéastes ont essayé de montrer la société iranienne telle qu’elle était, de tendre un miroir qui n’occulte pas les maux qu’elle traverse. Ce miroir a cependant toujours été imparfait, notamment à cause des nombreuses entraves de la censure. La relation homme-femme, dont la représentation à l’écran est très strictement réglementée, est un défi pour chaque réalisateur.

Ainsi, une grammaire esthétique s’est mise en place naturellement pour pouvoir dire l’indicible et montrer l’immontrable. Là où dans le cinéma européen l’abondance des corps fait sens, en Iran c’est l’absence et le vide qui sont signifiants.

Comment s’exprime la censure du régime sur ce médium ?

La censure du régime iranien sur le cinéma est sûrement l’une des plus sévères du monde, en particulier parce qu’elle ne supervise pas seulement l’image mais l’ensemble du processus de production, jusqu’à contrôler les relations sur le tournage. Lors de la présentation de Leila et ses frères de Saeed Roustaee au Festival de Cannes en mai dernier, l’acteur Navid Mohammadzadeh a embrassé sa femme devant les caméras, ce qui a provoqué l’ire des autorités iraniennes.

Le cinéma iranien distribué en Occident est-il représentatif de la société iranienne ?

Les films iraniens diffusés à l’étranger ne représentent qu’une partie de la production totale. Dans les années 1980 et 1990, il était très difficile pour un film iranien de sortir du pays. Nombre de films de grands réalisateurs, notamment ceux de Dariush Mehrjui, n’ont ainsi pas pu atteindre un public étranger. Un autre cinéma iranien est absent en Occident, celui réalisé par des Iraniennes, qui est pourtant assez prolifique. Ce n’est que depuis quelques années qu’il y a un vrai engouement autour du cinéma iranien, notamment depuis la sortie d’Une séparation d’Asghar Farhadi en 2011, qui avait réuni un million de spectateurs en France et six aux États-Unis.

« Là où dans le cinéma européen l’abondance des corps fait sens, en Iran c’est l’absence et le vide qui sont signifiants »

Cependant, dès les années 1980, les festivals étrangers ont essayé de distribuer des films qui donnaient une vision de la société iranienne différente de celle que les médias présentaient. C’est ainsi que le cinéma d’Abbas Kiarostami a été découvert puisque celui-ci filmait un Iran paisible et rural, loin des images d’un pays en proie à la guerre et au fanatisme religieux. Le succès en France de La Loi de Téhéran (2019) de Saeed Roustaee s’explique par l’association des genres du thriller et du film social. En mettant en scène la police iranienne et les problèmes liés à la drogue, ce film crée une impression de réel. Puisque l’Iran est un pays assez fermé, le cinéma apporte un autre regard et donne l’impression de montrer la vraie vie des Iraniens.

Comment les Iraniennes sont-elles représentées sur le grand écran ?

Il faut distinguer trois périodes dans cette représentation. La première, qui suit immédiatement la révolution, est celle de l’absence totale des femmes. Pour respecter les nouvelles règles et éviter de chercher des astuces pour inclure des personnages féminins, les cinéastes pratiquent une autocensure de fait.

À partir du milieu des années 1980, les femmes sont progressivement introduites dans les films, mais toujours au second plan et en tant qu’éléments de décor dans le scénario. Il est interdit de filmer leur corps ou de faire des gros plans et ces femmes doivent être représentatives des valeurs de la République islamique, c’est-à-dire être des figures maternelles, pieuses et patriotes.

La sortie du film Bashu, le petit étranger de Bahram Beyzai tourné en 1985, mais censuré jusqu’en 1989, va changer les choses. Celui-ci met en scène une très belle femme qui élève seule ses enfants tout en travaillant, dans un paysage rural et coloré, filmé avec de nombreux gros plans. À partir de là, il est possible de filmer les préoccupations des femmes et leurs situations diverses – mariée, célibataire, mère seule, travailleuse, femme au foyer, etc. – et cela va devenir un leitmotiv du cinéma iranien.

Le cinéma iranien approuvé par la propagande est-il factice ?

Les autorités iraniennes ont toujours soutenu financièrement un cinéma de propagande, mais la situation a changé depuis environ une décennie. Jusqu’en 2010, les films de propagande étaient de qualité assez médiocre par rapport au cinéma indépendant. Mais à ce moment-là, une société de production financée par les Pasdaran, les Gardiens de la révolution islamiques, est mise en place pour former de nouveaux cinéastes et produire un cinéma de qualité représentant fidèlement les valeurs de la République islamique. Les thèmes privilégiés par ces films sont le terrorisme de Daech ou Al-Qaïda, afin de présenter la République islamique en guerre contre ces mouvements, ou bien les débuts de la révolution de 1979, en mettant en scène les opposants du régime de façon très manichéenne. Mais aujourd’hui, en raison des moyens alloués aux aspects techniques, il est plus difficile d’identifier les éléments de propagande.

La loi de Téhéran de Saeed Roustaee (2019) © Wild Bunch

Comment les autorités et les formes de contestation du pouvoir sont-elles montrées ?

Il est absolument impossible de filmer des manifestations de façon honnête. Les seules représentations qui existent sont faussées et présentent des mouvements menés par des agents étrangers. Le pendant de cette censure est l’obligation de présenter une image positive de la police et des Gardiens de la révolution, de passer sous silence la corruption et la violence de ces institutions. La fin du film La Loi de Téhéran a ainsi été amputée par la censure, car le réalisateur y souligne les liens entre les Pasdaran et le trafic de drogue en Iran.

Quel rôle le septième art joue-t-il dans la contestation du régime ?

Il est un vecteur de contestation mais cela ne veut pas dire qu’il la crée. Le cinéma social et indépendant est surtout un espace de résistance, et c’est l’objet filmique en soi qui est porteur de cette contestation, à travers ses choix visuels, ses non-dits et ses absences, qui lui sont propres. C’est avant tout un vecteur de changement des représentations. Le cinéma iranien ne sera jamais à l’origine d’un mouvement contestataire, mais il essaiera toujours de le suivre. 

 

Propos recueillis par FLORIAN MATTERN

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !