Il y a un avant et un après les émeutes des samedis 1er et 8 décembre. Avant, les Gilets jaunes constituaient un ovni politique. Surgis de nulle part, ils exprimaient un ras-le-bol fiscal fiévreux, organisaient des barrages nerveux sur les ronds-points. Coup de génie, ces invisibles s’étaient parés de la surveste fluorescente imposée non sans mal il y a quelques années par la Sécurité routière. Au départ quelques dizaines à s’ébattre sur Facebook, on en comptabilisait 282 000 dans les rues à la mi-novembre. Pas mal, mais pas de quoi intimider le pouvoir. Quatre semaines plus tard, les images de l’Arc de Triomphe souillé et des pillages sur les Grands boulevards parisiens ont fait le tour du monde. Les Gilets jaunes, dans l’ébriété du moment, ont ouvert un grand cahier de doléances nationales où sont consignées leurs exigences : la fin des taxes, le retour de l’ISF, la mise au pas des élites, la dissolution du Parlement, la démission du président de la République. La parole est libérée. L’un songe à placer le général de Villiers à l’Élysée, un autre à créer une assemblée citoyenne permanente.

Désormais, les contours du mouvement se précisent. Les réseaux sociaux assurent la circulation des mots d’ordre et des fausses nouvelles. Ce qui s’exprime, c’est en même temps une immense détresse sociale et une colère sans frein. Une impossibilité à faire face à des injonctions de plus en plus violentes : la voiture montrée du doigt mais indispensable, la fiscalité sur le carburant vécue comme punitive, les chaudières au fioul promises à la casse avec un préavis de dix ans, etc. Une révolte est née, incarnée par des hommes et des femmes du peuple. Des « petits Blancs » exaspérés. C’est un « Mai 68 » des classes moyennes, instrumentalisé par l’extrême droite et attisé par les insoumis.

Comment en est-on arrivé là ? Par le « trop » et le « pas assez ». Les médias ont participé au « trop ». Sur les chaînes d’information en continu, dès le début, les Gilets jaunes ont bénéficié d’un large traitement de faveur. Deux ou trois exemples parmi d’autres. Le 24 novembre, les manifestations féministes contre les violences sexuelles réunissent autant de monde que les manifestations des Gilets jaunes. Plus, disent certains. Les médias choisissent de suivre les Gilets jaunes et d’oublier la marche féministe. Les médias affirment en boucle que les Gilets jaunes sont soutenus par 80 % de l’opinion ; en réalité, 46 % stricto sensu après le 1er décembre tandis que 53 % souhaitent l’instauration d’un état d’urgence. Les médias répètent à l’envi qu’Emmanuel Macron a été conspué par la foule en sortant de la préfecture du Puy-en-Velay partiellement incendiée ; en réalité une dizaine de manifestants. Voilà pour le « trop ».

En regard, le gouvernement n’a jamais été dans le tempo. Il n’a pas su saisir le bon moment pour éteindre le feu de la révolte ; il a refusé la main tendue du secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger ; il a cédé trop tard sur la taxe carbone. Aujourd’hui acculé, l’exécutif cherche l’apaisement sans parvenir à se faire entendre. Le « peuple » somme le « roi » de parler. Face à face tendu, parfois chargé de haine. Le « peuple » s’impatiente et gronde ; le « roi » cherche dans les recoins de son palais une baguette magique et les mots qu’il faut. C’est sa première grande crise. Il découvre l’histoire, toujours imprévisible, en fusion. Une histoire injuste, mais populaire. 

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