Il n’y a pas de saisons pour les guerres. Pour les bombardements, pour les morts en masse de civils. Et de soldats défendant leur pays. Pas de saisons non plus pour les exodes et les angoisses, face aux menaces d’assauts meurtriers sans cesse redoublées, ou de dérapage nucléaire. L’Ukraine, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a été agressée par l’armée russe sur ordre de Vladimir Poutine le 24 février dernier. Depuis, toutes les supputations ont été discutées à l’infini, sur les desseins du président russe, comme sur les moyens réels dont il dispose pour accomplir son rêve, jusqu’ici contrarié, d’invasion. Qu’il veuille rétablir une grande Russie fantasmée ou le fantôme d’une Union soviétique dont il n’a jamais digéré la disparition, le résultat est le même. C’est en s’appuyant sur une révision de l’histoire nationale qu’il peut, dans sa propagande bien rodée, exhorter son peuple à croire que l’Ukraine n’existe pas, qu’elle est un simple appendice de la Russie, dénué de langue et de culture propres. Qu’elle abrite aussi un ramassis de génocidaires et de collabos, la preuve selon lui étant la compromission d’une partie des autorités et de la population ukrainienne avec le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Passant sous silence que cette alliance de circonstance fut motivée par la promesse d’Hitler – un leurre en vérité – de débarrasser les Ukrainiens de Staline.

Ce n’est pas un hasard si nombre de mouvements contestataires sont nés à Kiev 

Six mois après les premiers raids sanglants de Moscou sur cet ancien pays frère devenu frère ennemi, il nous a paru nécessaire de montrer combien l’histoire de la nation ukrainienne était ancienne et authentique et se confondait avec le destin de villes hors du commun qui ont façonné bien des imaginaires. Il suffit de citer leurs noms, Kiev et Odessa en premier lieu, ou encore Marioupol, port du Donetsk convoité par Poutine que cette guerre a rendu martyr, pour qu’aussitôt s’enchevêtrent des récits fabuleux enracinés dans un passé aussi riche que tumultueux, souvent méconnu. « Comme l’histoire de France s’est écrite à Paris, l’histoire politique de l’Ukraine s’écrit à Kiev », observe dans un entretien l’historien Iaroslav Lebedynsky, soulignant combien cette ville jadis contrôlée par les Vikings « est un foyer de patriotisme ukrainien ». Ce n’est pas un hasard si nombre de mouvements contestataires sont nés à Kiev, la « révolution orange » de 2004 ou celle de Maïdan – la révolution de la Dignité – en 2014. Aux regards éclairants des experts, nous avons ajouté celui, érudit et sensible, de l’écrivain voyageur Cédric Gras. Familier de ces villes au cœur du conflit, le Prix Albert-Londres 2020 nous offre trois grands tableaux aussi passionnants qu’instructifs. On y mesure plus encore le drame à l’œuvre : le risque de voir s’effondrer sous nos yeux, dans un mélange d’impuissance et de colère, des pans entiers de l’identité européenne. 

 

ÉRIC FOTTORINO

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