En ce début 2013, une délicieuse odeur de feu de bois flotte sur la place de l’Indépendance, au centre de Kiev. C’est l’odeur du Maïdan. Elle embaume cette grande place de 40 000 mètres carrés et ses rues adjacentes. Elle imprègne durablement les vêtements. C’est à cette odeur que les révolutionnaires se reconnaissent mutuellement. Ils sont citadins ou ruraux, habitants de Kiev ou provinciaux, russophones ou ukrainophones au quotidien – en fonction de leur âge, statut social ou région –, mais bilingues dans leur vaste majorité. Des gens très ordinaires pour la plupart. Sans aucune affiliation syndicale ou partisane, apolitiques même. Mais les révolutions ont ce propre de mobiliser des secteurs de la population traditionnellement étrangers à la politique. Ensemble, ils font le Maïdan, cet être collectif qui reproduit en miniature la société ukrainienne.

Face à la décision du président Viktor Ianoukovitch de mettre un coup d’arrêt au processus d’association avec l’Union européenne pour se tourner vers la Russie, ces Ukrainiens ont pris en main leur destinée. Quelques milliers ont investi la place de l’Indépendance, le 21 novembre 2013 au soir. Dix jours plus tard, après un assaut policier violent sur de jeunes manifestants, des centaines de milliers les ont rejoints.

« Les révolutions ont ce propre de mobiliser des secteurs de la population traditionnellement étrangers à la politique » 

Ces citoyens en colère retirent leur confiance au régime, autoritaire et répressif, qui a trahi leurs espoirs. Espoirs d’une démocratie affirmée, de bureaucraties efficaces et non corrompues, d’un État respectueux des droits. Espoirs liés à l’Europe et non à la Russie autoritaire de Poutine. Ces citoyens mobilisés souhaitent retrouver leur pouvoir d’autodétermination. Ils réclament ainsi des élections générales anticipées, mais aussi que toute la lumière soit faite sur l’offensive policière brutale du 30 novembre et que ses responsables soient identifiés et punis.

Chacun s’engage à sa manière. Tout seul, en couple, avec des amis ou aux côtés de parfaits inconnus. Chacun trouve aussi sa manière de contribuer au Maïdan : préparer et servir les repas, construire les barricades, assurer la sécurité du site. Ensemble, ils s’auto-organisent, prennent des initiatives en dehors de tout cadre politique traditionnel. Ces initiatives citoyennes se télescopent, donnent corps à de plus larges mouvements : AutoMaïdan, mouvement de citoyens automobilistes, service médical, Autodéfense. L’œuvre protestataire collective est impressionnante : un campement fortifié, près de deux cents tentes militaires dressées, des barricades tout autour de cet espace de la résistance et de la liberté, des bâtiments occupés, des feux de bois et des cuisines de camp.

L’expérience révolutionnaire se reflète, en retour, dans la vie ordinaire de ces Ukrainiens. Elle les arrache à leurs mondes sociaux habituels. Elle bouscule leur quotidien. Elle leur fait négliger leurs obligations professionnelles. Elle les attire, les implique, fait d’eux d’ardents révolutionnaires prêts à résister. Elle les pousse, enfin, à faire preuve de solidarité. Une solidarité inouïe qui se traduit au quotidien par des dons extraordinaires. Dons de temps, d’argent, de biens personnels, de compétences professionnelles et, enfin, de soi. Ces citoyens ordinaires se donnent tout entiers au Maïdan. 

 

Génération Maïdan© Éditions de l’Aube, 2016

 

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