Où se situe la ville de Kiev ?

Kiev est située dans la partie centre-nord de l’Ukraine, sur le cours du Dniepr, le fleuve qui s’étend du nord de la Russie à la mer Noire. C’est une situation assez idéale pour le commerce, ce qui a joué un rôle important dans son histoire. La ville se trouve sur le même parallèle que Lille, et bénéficie donc d’un climat continental assez classique, plutôt froid en hiver, plutôt chaud en été.

Kiev est l’une des plus anciennes villes d’Europe de l’Est. Quelle est l’histoire de sa fondation ?

L’origine de Kiev est un sujet de controverse. Les Soviétiques avaient décidé, en 1982, de fêter le 1500e anniversaire de la ville, ce qui aurait fait remonter sa construction à l’année 482. Bien sûr, c’était une pure opération de propagande. En vérité, rien ne dit que Kiev existait déjà à cette époque. Certes, il y a des vestiges qui remontent au néolithique, et même au paléolithique, et d’autres qui datent du haut Moyen Âge, mais il n’y a pas de traces de constructions urbaines avant le IXe siècle.

La région est alors peuplée par une tribu slave orientale, les Polianes. La ville de Kiev a déjà une certaine importance, car elle est placée stratégiquement sur la route commerciale qui relie le nord de l’Europe à l’Empire byzantin. Mais ce n’est qu’après la prise de Kiev par des chefs varègues, c’est-à-dire vikings, à la fin du IXe siècle, qu’elle devient un centre politique important, le cœur de la Ruthénie kiévienne, ou Rous’. Pendant deux siècles, Kiev est ainsi un foyer politique, culturel et artisanal prospère, au rayonnement international. Jusqu’à ce qu’en 1169, André, prince de Vladimir et Souzdal, ravage la ville et fonde un nouveau centre de pouvoir plus au nord : l’ancêtre de la Moscovie, future Russie. Affaiblie, Kiev est de nouveau attaquée au XIIIe, cette fois par les Mongols. Elle tombe le 6 décembre 1240, au terme d’une longue résistance.

Que se passe-t-il par la suite ?

En 1360, Kiev est absorbée par le grand-duché de Lituanie en pleine expansion. Sous l’administration lituanienne, puis polonaise après 1569, Kiev redevient une grande capitale de province. Fait très important, la ville reçoit en 1494 le droit de Magdebourg, un système juridique d’origine allemande très moderne, qui confère à la ville une sorte d’autonomie municipale, indépendante du système féodal. Kiev se dote donc d’organes élus, de sa propre politique, et même de son propre sceau. Ce droit est également attribué à d’autres villes en Ukraine et au Bélarus, ce qui va fortement les différencier des villes russes où ce droit n’a jamais existé.

En 1632, le métropolite Pierre Mohyla, un grand théologien inspiré par l’éducation jésuite, réorganise l’académie qui va porter son nom. Cette université, qui existe encore aujourd’hui, était un établissement à la fois religieux et laïque, enseignant en slave, en grec, en latin… et qui a eu longtemps un rayonnement extraordinaire dans tout le monde orthodoxe.

Quand la ville de Kiev est-elle passée aux mains des Russes ?

En 1648, les Cosaques d’Ukraine, conduits par Bohdan Khmelnytsky, se soulèvent contre l’administration polonaise. Victorieux, ils instaurent une sorte d’État autonome cosaque ukrainien au sein de la Pologne. Et c’est bien sûr à Kiev que Khmelnytsky fait son entrée triomphale, le jour de Noël 1648. Il y est accueilli en libérateur et salué par le clergé orthodoxe comme le sauveur de l’orthodoxie ruthène. Cette scène est souvent représentée sur des tableaux du XIXe siècle ! Il est en tout cas évident que Kiev est, à ce moment-là, une capitale sentimentale, symbolique et religieuse.

La période est marquée par des guerres féroces entre les Cosaques et tous leurs voisins, notamment la Pologne et la Moscovie. Kiev est à nouveau pratiquement détruite. En 1667, la Moscovie et la Pologne concluent une paix qui se solde par un partage de l’Ukraine cosaque entre les deux puissances. Kiev est remise à la Moscovie, et devient donc une ville-frontière de la « Petite Russie », jusqu’aux partages de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle.

Quel rôle a joué Kiev dans l’Empire russe ?

La ville conserve une certaine autonomie. Une autonomie relative, bien sûr, car, à l’inverse de la Lituanie et de la Pologne qui avaient des systèmes parlementaires, le régime de Moscou était autocratique. Néanmoins, le droit de Magdebourg reste en vigueur, ce qui veut dire que la ville conserve, dans un premier temps du moins, le droit de s’administrer.

« Quand le régime commence à vaciller, à la fin des années 1980, c’est Kiev qui est au cœur du réveil national »

Pour le reste, c’est une ville qui politiquement a perdu toute importance, et qui est rétrogradée au rang de chef-lieu régional. Puis, en 1834, le droit de Magdebourg est aboli, et à partir de là, la ville de Kiev est administrée directement par les représentants du pouvoir central russe. Elle perd aussi une partie de son importance culturelle puisqu’en 1819 l’académie Mohyla est réduite à un rôle purement théologique. Quant au clergé ukrainien, jusque-là indépendant, il a été placé dès 1686 sous contrôle moscovite. L’Église ukrainienne devient une espèce de filiale de l’Église moscovite puis russe. Elle l’est restée jusqu’à ce que son autocéphalie soit finalement reconnue par le patriarcat de Constantinople en 2019.

Mais Kiev est aussi une ville de dissidence ?

En effet. Kiev est un des épicentres du mouvement patriotique de renouvellement de l’identité ukrainienne, très manifeste à partir des années 1830-1840. C’est un mouvement culturel, puis un mouvement politique en partie clandestin, qui promeut les publications en langue ukrainienne, notamment les poésies de Taras Chevtchenko, et tente de revendiquer une forme d’autonomie. En représailles, la Russie mène une politique de russification intense en interdisant l’impression et l’édition de textes en ukrainien comme les représentations théâtrales en 1863, puis 1876.

Au début du XXe siècle, Kiev redevient toutefois un centre politique important…

À partir de 1917, tous les grands événements politiques ukrainiens se déroulent à Kiev. C’est le cœur politique du pays, que chaque camp cherche à contrôler. C’est à Kiev tout d’abord, en mars 1917, qu’est formée la Rada centrale, c’est-à-dire le Conseil central d’Ukraine, qui proclame le 22 janvier 1918 l’indépendance de l’Ukraine. C’est à Kiev que, trois semaines plus tard, les bolcheviques s’emparent du pouvoir. C’est à Kiev encore que l’indépendance de l’Ukraine est rétablie avec l’aide des Allemands après le traité de Brest-Litovsk en mars 1918. Comme l’histoire de France s’est écrite à Paris, l’histoire politique de l’Ukraine s’écrit à Kiev.

« Ce n’est qu’en 1937, alors que toute opposition éventuelle a été détruite lors des grandes purges staliniennes, que Kiev redevient la capitale »

Cela change à partir de 1921, lorsque les bolcheviques sont bien installés au pouvoir et affermissent la République socialiste soviétique d’Ukraine. En effet, ils choisissent pour capitale non pas Kiev, qu’ils suspectent à la fois de loyauté envers l’ancien régime et de sympathies nationalistes, mais Kharkiv, une ville du Nord-Est qui a le double avantage d’être très russifiée et proche de la frontière. Ce n’est qu’en 1937, alors que toute opposition éventuelle a été détruite lors des grandes purges staliniennes, que Kiev redevient la capitale.

Que s’y passe-t-il durant la Seconde Guerre mondiale ?

Il est intéressant de souligner que les nazis évitent eux aussi de faire de Kiev la capitale de leur régime d’occupation, et lui préfèrent une petite ville de Volhynie, Rivne. L’occupation allemande en elle-même ne dure pas très longtemps, puisque l’Armée rouge revient dès 1943, mais l’ampleur des massacres est considérable. À Babi Yar – Babin Yar, en ukrainien –, dans la banlieue de Kiev, ce sont 33 771 Juifs qui sont assassinés. Parmi les autres victimes, on compte également de nombreux communistes et nationalistes ukrainiens.

Pendant ces années de guerre, la ville est à nouveau largement détruite. Reconstruite et repeuplée dès les années 1950, elle redevient par la suite la capitale de l’Ukraine soviétique, et l’une des principales villes de l’est de l’Union soviétique. Sa fonction politique est évidemment restreinte, à l’image de ce qu’est l’autonomie très réduite de l’Ukraine soviétique au sein de l’URSS. Son rôle devient essentiellement industriel, culturel, mais aussi, dans une certaine mesure, militant, ce qui lui vaut une surveillance particulière du régime soviétique. En effet, Kiev demeure un foyer de patriotisme ukrainien, et l’endroit où s’expriment les différentes formes d’opposition au régime. Et quand le régime commence à vaciller, à la fin des années 1980, c’est Kiev qui est au cœur du réveil national. C’est là, autant qu’en Galicie, que l’on voit reparaître les drapeaux, la presse d’opposition, les revendications politiques… Et c’est donc tout naturellement que Kiev reprend son statut de capitale nationale à la chute de l’URSS.

Ces vingt dernières années, avec la « révolution orange » et Euromaïdan, l’Ukraine a été le théâtre de nombreuses manifestations. Ont-elles changé le visage de la ville ?

Je crois que la ville de Kiev s’est découvert une personnalité qu’elle ne se connaissait pas. Aujourd’hui, c’est aussi une ville dont la population est à 80 % ukrainienne, et en majorité ukrainophone. C’est également une ville extrêmement patriotique, un patriotisme qui repose sur une tradition particulière, celle de l’ancienne Ruthénie kiévienne, des Cosaques et de la première indépendance de 1917. Les mouvements contestataires que l’on a vus en 2004 avec la révolution orange et en 2014 avec la révolution de la Dignité sont eux aussi partis de Kiev et se sont inscrits dans cette tradition.

Après ces siècles de destruction, que reste-t-il de cette ville millénaire ?

Effectivement, la ville a été de nombreuses fois détruite, et la reconstruction à l’époque soviétique a laissé des traces assez peu heureuses. Mais il reste également beaucoup de vestiges des époques anciennes. Citons par exemple la cathédrale Sainte-Sophie, le cœur religieux de l’Ukraine, qui date du XIe siècle. Elle a miraculeusement survécu et son intérieur a été préservé. L’extérieur est aujourd’hui de style baroque, mais quand on y pénètre, on entre dans un autre monde, celui de la Ruthénie kiévienne. On peut encore y voir des fresques, des mosaïques, la disposition byzantine de rigueur à l’époque, mais aussi un ensemble de graffitis extraordinaires qui donnent un aperçu de la vie aux XIe et XIIe siècles.

On trouve également à Kiev des églises du XVIIIe siècle et des immeubles traditionnels du XIXe, mais aussi des constructions contemporaines très intéressantes. Depuis l’indépendance, comme la population ne cesse d’augmenter, il y a en effet une grande activité architecturale, qui donne lieu à toutes sortes d’expérimentations.

D’une manière générale, Kiev est une ville bouillonnante, très agréable à vivre et très verte. On y trouve 45 000 hectares de parcs et forêts, pour trois millions d’habitants !

Quel est votre endroit préféré à Kiev ?

Outre le boulevard Chevtchenko et ses immeubles du XIXe siècle où vivaient mes arrière-grands-parents, je choisirais la place Sainte-Sophie, un endroit chargé d’une histoire millénaire, où tant d’événements se sont produits avec, toujours, cette magnifique cathédrale en toile de fond. 

 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !