Ceux qui les défendent

« Ils veulent “optimiser” l’espace, quel mot horrible ! » Ancienne enseignante, Michèle Miant est en colère. Dans sa ville du Mans, elle a dénombré plus de 1 500 arbres coupés sous le règne de l’ancien maire, surnommé « Sénateur Sécateur ». Tilleuls, marronniers, ginkgos biloba… « Toutes les raisons sont bonnes pour couper les grands arbres. On méprise le temps ; ils ont mis un siècle à pousser », dénonce cette ancienne zadiste qui a fondé une association locale.

À force de pétitions et de tapage, elle et ses acolytes ont sauvé quelques arbres : des aulnes et des saules qui auraient dû laisser place à un parking ; les fruitiers et érables d’un parc convoité par Bouygues… « Voir tomber les arbres, c’est une douleur viscérale. On est relié à eux physiquement, par la sensibilité, par l’imaginaire aussi », observe la militante. Dernier fait d’armes : arrêter les bulldozers qui menaçaient un immense cèdre du Liban. « Il est condamné, il y a des cratères autour de ses racines, soupire Michèle Miant. Mais il symbolise tout ce qui est sacrifié. »

Des dizaines d’initiatives similaires tentent de protéger les arbres de France. L’association ARBRES offre ainsi un bouclier étonnant aux plus beaux spécimens : le label « Arbre remarquable de France ». « Je pensais qu’en deux ou trois ans on aurait fait le tour, sourit l’un des fondateurs, Georges Feterman. Mais vingt-cinq ans plus tard nous avons atteint les six cents, et on continue de nous en signaler. »

La première conséquence, c’est de créer de la convivialité : lorsqu’un arbre signalé mérite le label, une petite cérémonie officialise la protection de l’arbre, puis militants et locaux trinquent à la santé du monde végétal. « C’est incroyablement rassembleur, un arbre. C’est historique, voire préhistorique ! » note Georges Feterman. Ces géants remarquables vont ensuite attirer un peu de tourisme, à l’instar d’un lavoir ou d’une jolie place. Le cérémonial permet surtout de mettre la pression sur les décideurs locaux. Le président de l’association est ainsi allé protester contre l’abattage prévu de 430 arbres dans un cimetière de Boulogne, en banlieue parisienne. « Des gens protestent parce que les pigeons défèquent sur les tombes, se désole Georges Feterman. Ailleurs, on abat des arbres à cause des feuilles mortes ou des allergies au pollen. Il faut être raisonnable ! »

Mais les choses avancent, il en est convaincu. La région Île-de-France a décidé de protéger 132 arbres remarquables de son territoire. Dans le parc parisien des Buttes-Chaumont, un sophora du Japon qui avance sur l’eau a décroché son label-bouclier. « La conscience que les arbres sont indispensables se développe à grande vitesse depuis trois ou quatre ans. Grâce au livre La Vie secrète des arbres et aux travaux de Francis Hallé, mais aussi en raison de la crainte climatique », estime Georges Feterman.

Récemment, avec une poignée d’activistes, il a réussi l’impensable : rencontrer la ministre de l’Environnement pour plaider la cause de ces grands voisins silencieux.

Il faut dire qu’un autre militant avait mis le pied dans la porte. Thomas Brail, la quarantaine, a défrayé la chronique en 2019 en installant son bivouac… dans un platane, face au ministère d’Élisabeth Borne. Le grimpeur-arboriste y a vécu 28 jours et 28 nuits, pour épargner l’abattage à des platanes du Gers. Cela n’a pas suffi à les sauver, mais l’activiste est parvenu à se faire connaître. On l’appelle depuis de la France entière.

« Je suis un gentil, je ne sais pas dire non à quelqu’un qui pleure au téléphone », dit-il. Il soutient des militants partout, jusqu’en Belgique et en Italie. « Souvent, les diagnostics sanitaires sont biaisés. Ils établissent que les arbres sont malades et donc dangereux, mais des experts arboricoles qui nous ont rejoints ne leur trouvent aucun problème, observe-t-il. Couper des arbres sert souvent à gagner des électeurs. »

À la ministre, il a confié sa détresse de père de famille, inquiet d’un « génocide végétal » et d’un avenir sans oxygène pour son fils de 2 ans. L’objectif des militants : mieux protéger les arbres, y compris par des condamnations au pénal. L’activiste reste modeste : « J’ai juste fait du bruit au bon moment. Ça brûle en Amazonie, ça brûle en Australie, en Pologne on détruit la dernière forêt primaire d’Europe… Les planètes sont alignées. »

Les vrais héros, à ses yeux, sont ceux qui risquent leur vie, comme en Amazonie. Il cite Paulo Paulino, un Amérindien de 26 ans qui a lutté contre les trafiquants de bois dans le nord-est du Brésil. Il a été assassiné en novembre. « Quelques militants de Greenpeace sont menacés, par exemple pour avoir prouvé que du bois illégal d’Amazonie était exporté vers l’Europe, note Carol Marçal, membre de la branche brésilienne de l’ONG. Mais les habitants de la forêt, eux, vivent sous intimidation constante. » Ils tiendront bon, elle en est sûre : « Ils dépendent de la forêt pour leur alimentation et leur survie culturelle. Ils résistent depuis que le Brésil est devenu Brésil, il y a cinq cents ans. »

Ceux qui les soignent

Soigner les arbres, malheureusement, signifie parfois les couper. Lorsque les tronçonneuses ont attaqué les premiers troncs, Jacques Noisette en a pleuré. « Qui n’est pas allé peindre, draguer ou se balader sous les platanes du canal du Midi ? » soupire ce porte-parole des Voies navigables de France Sud-Ouest. Voilà que les géants qui bordent le cours d’eau inscrit à l’Unesco sont asphyxiés par le chancre coloré. Ce champignon a débarqué en Provence en 1944, dans les caisses de munitions américaines, et se répand inexorablement depuis.

« Il faut couper les arbres sans répandre le parasite, donc déterrer toutes les racines, brûler le bois sur place, désinfecter les outils… », précise Pascal Frey, de l’Inra Nancy. Bilan à ce jour : 26 300 arbres sacrifiés sur 42 000. « Mais tous sont condamnés à terme, assure-t-il. Ces platanes sont génétiquement identiques et l’eau transporte le champignon. »

Il a donc fallu dépasser la stupeur, et entreprendre de replanter la voûte arborée. Cette fois en variant les essences – chêne chevelu vers Toulouse, micocoulier plus au sud. Le chantier est chiffré à 220 millions d’euros ; mécénat et grand public en ont apporté six. « Ça montre l’attachement au Canal », savoure Jacques Noisette, qui se dit « changé » par ce défi titanesque : « Travailler sur les arbres, ça donne une leçon de vie. On travaille pour l’avenir. »

À l’INRA, les scientifiques traquent d’autres ennemis : la chalarose du frêne, un champignon des mélèzes… « Mon prédécesseur, Jean Pinon, a développé des variétés d’ormes résistantes à la graphiose, qui a décimé ces arbres dans les années 1970 et 1980, s’enorgueillit Pascal Frey. Il est maintenant retraité mais continue de photographier les spécimens qu’il croise. Ce sont ses bébés. »

Les platanes aussi ont leur champion, le Platanor, résistant au chancre coloré. Mais Pascal Frey s’inquiète : la mondialisation transporte les parasites, le changement climatique étend leurs aires de nuisance et les jardineries servent de bouillon de culture. Face à eux, les pathologistes forestiers de l’INRA ne sont qu’une poignée. « Le flétrissement américain du chêne, par exemple, est à nos portes, alerte-t-il. À la moindre faille de contrôle sanitaire, ce sera la catastrophe. Les chênes, c’est un quart des forêts françaises. »

Ceux qui les (re)plantent

« Il y a dix ans, on était seuls au monde. Depuis 18 mois, c’est la ruée vers l’or. » Avec son entreprise Reforest’Action, Stéphane Hallaire propose aux particuliers et aux entreprises de planter des arbres dans le monde entier. L’ancien ingénieur a sué cinq ans avant de trouver l’équilibre. Aujourd’hui 30 à 40 entreprises le contactent chaque jour, avides de financer leur plantation d’arbres.

« Ça a décollé lors des marches pour le climat. Si les entreprises ne s’y intéressent pas, elles vont peiner à recruter », estime celui qui a déjà planté cinq millions d’arbres. Le coût ? De 1 à 3 euros pièce, pour financer la sélection du projet, la création de la pépinière, la distribution des plants et le suivi sur cinq ans. « On s’assure du taux de reprise des arbres et des retombées locales », précise l’entrepreneur. En Haïti, par exemple, 300 000 anacardiers, plantés dans des jardins créoles, offrent leurs noix de cajou à des petits cultivateurs qui en tirent un complément de revenu.

La passion de Stéphane Hallaire pour les jeunes pousses a surgi en 2010, sous le soleil implacable du Sénégal : « J’ai planté un arbre pour la première fois, un manguier, avec une vieille dame. Ça m’a secoué. Aujourd’hui il lui apporte de l’ombre, des fruits, enrichit son sol, filtre son eau… C’est merveilleux. L’arbre est à la base d’un modèle régénératif. »

Mais la reforestation peut être mal utilisée, ou dévoyée. « On a refusé l’argent d’un industriel inquiété pour pollution des sols ou encore d’une banque qui finance des investissements non responsables. On ne veut pas servir de caution », précise Stéphane Hallaire. Autre écueil : les projets parachutés, sans considération pour l’impact local. Comme ces centaines d’hectares d’eucalyptus au Brésil qui accaparent l’eau et n’apportent aucune biodiversité.

« Il faut régénérer des écosystèmes complets, en partenariat avec les communautés », martèle Stéphane Hallaire. « Planter une monoculture de peupliers ou de sapins est une catastrophe écologique », confirme Ferdinand Richter. Lui travaille pour Ecosia, ce moteur de recherche qui consacre la moitié de ses recettes publicitaires à la plantation d’arbres. Là aussi c’est un peu la crise de croissance. « Au début nous avons planté 7 millions d’arbres en huit ans. L’an dernier, ça a été 35 millions, expose-t-il, fier mais prudent. Monter de bons projets, avec des partenaires impliqués, ça prend du temps. »

Après l’Indonésie ou le Burkina Faso, Ecosia soutient la reforestation en Europe. Même évolution pour l’entreprise sociale PUR Projet, qui convertit les grandes entreprises à la plantation d’arbres. Longtemps, elle a monté des opérations dans les pays du Sud – une grande marque de café finance ainsi un demi-million d’arbres par an en Amérique latine, parmi des caféiers. Aujourd’hui, PUR Projet soutient aussi l’agroforesterie dans des champs français.

Les agriculteurs convertis à cette pratique sont enthousiastes. À l’instar de l’éleveur Gert de Ridder, qui a planté un millier d’arbres sur sa ferme de l’Aude. Noyers, alisiers, sycomores… « Au début je voulais surtout faire écran au soleil autour de la maison, puis j’ai été très motivé par leur apport agronomique, raconte l’ancien ingénieur. Ils créent de l’humus, freinent l’érosion, préservent l’humidité… À midi, les brebis sont chacune cachées derrière un arbre ! En échange, leurs crottes fertilisent le sol. »

Dans quelques décennies, le bois des noyers ou des alisiers complétera le revenu de son petit-fils, qui étudie au lycée agricole. Le grand-père, lui, a la satisfaction de « transmettre cette terre en meilleur état » qu’il l’a reçue. Et de conclure, en riant : « Planter des arbres, c’est une des rares bonnes choses que j’ai faites dans ma vie. » 

 

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