Mohamed Bouazizi

Celui par qui tout a commencé

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, 26 ans, entre dans l’histoire. Ce vendeur de fruits et légumes s’immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid, une ville de 100 000 habitants dans une zone agraire du centre de la Tunisie, après que des agents de police lui ont confisqué sa marchandise, faute d’autorisation de vente. Titulaire d’un baccalauréat, Bouazizi vendait ses produits à la sauvette pour subvenir aux besoins de sa famille. Incapable de payer les pots-de-vin exigés, il était régulièrement mis à l’amende par la police.

Le 28 décembre, le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali se rend à son chevet, à l’hôpital. Cette opération de communication reste sans suite. Le jeune homme décède de ses blessures le 4 janvier 2011. Dès lors, son geste a un impact à travers tout le pays, où la corruption du « clan Trabelsi-Ben Ali » (Leïla Trabelsi est la femme du président) est pointée en même temps que le chômage et la précarité des jeunes. Les manifestations marquent le début des révoltes populaires qui vont secouer de nombreux pays arabes. Le 14 janvier 2011, Ben Ali est contraint de quitter en catimini la présidence de la République et le pays, après avoir passé près de 21 ans à sa tête.   W.M.

 

Prix Nobel

Un quartet tunisien

En 2015, le prix Nobel de la paix récompense un groupe issu de la société civile tunisienne chargé de mener le dialogue national. Le comité Nobel souligne sa « contribution décisive dans la construction d’une démocratie pluraliste après la révolution ». Ce dialogue – une première dans la région – est une initiative du syndicat Union générale tunisienne du travail (UGTT), survenue dans un contexte de crise politique : une partie de la société demandait le départ du gouvernement élu en 2011, après la chute du régime Ben Ali. Ce « quartet » réunissait, en plus de l’UGTT, la fédération patronale Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), la Ligue tunisienne des droits de l’homme et l’Ordre national des avocats, représentés respectivement par Houcine Abassi, Wided Bouchamaoui, Abdessattar Ben Moussa et Mohamed Fadhel Mahfoudh.

Ces institutions, qui s’étaient distinguées par leur autonomie durant la présidence de Ben Ali, demandent aux membres de la coalition gouvernementale et aux partis d’opposition de négocier une « feuille de route ». Au pouvoir depuis 2011, le parti Ennahdha, issu des Frères musulmans, accepte des compromis. Un technocrate, Mehdi Jomaâ, devient chef du gouvernement. Le processus aboutira à une nouvelle constitution, fruit d’un compromis unique dans le monde arabe. Béji Caïd Essebsi, du parti Nidaa Tounes, fondé pour réunir l’opposition, devient le premier président élu à l’issue d’un scrutin transparent.   W.M.

 

Mouammar Kadhafi

Le « guide » égaré

Le lieutenant Mouammar Kadhafi n’avait que 27 ans, le 1er septembre 1969, quand il a renversé le vieux roi Idriss de Libye. Par la suite, il s’est donné le grade de colonel, à l’image de son modèle, pour ne pas dire son idole : Gamal Abdel Nasser.

N’ayant reçu qu’une formation sommaire et n’adhérant à aucune idéologie précise, le jeune officier essaie tant bien que mal d’imiter son grand frère égyptien. Le royaume est rebaptisé « République arabe libyenne populaire et socialiste », mais ce pays en grande partie désertique restera une confédération d’une trentaine de tribus, elles-mêmes divisées en de nombreux clans. Kadhafi rejette le titre de président pour s’octroyer celui de « Guide de la Révolution ». Le Livre vert qu’il publie en 1977 choque profondément les islamistes, qui y voient un substitut sacrilège au Coran. Un régime de terreur s’installe dans le pays, avec des procès publics organisés dans des stades pour condamner à mort des dissidents.

Le dirigeant libyen se sert des revenus immenses du pétrole pour construire des routes, des logements, des écoles et des hôpitaux, mais utilise également cette manne pour tenter de déstabiliser des pays voisins, financer des mouvements de rébellion et des groupes terroristes à travers le monde. Il échappe de justesse à un bombardement de Tripoli par l’aviation américaine en 1986. Ce qui ne l’empêche pas, deux ans plus tard, d’ordonner la destruction d’un Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie en Écosse, puis celle d’un DC10 d’UTA au Niger, faisant des centaines de morts.

Victime de sanctions internationales, confronté dans son propre pays à des fondamentalistes, Kadhafi change son fusil d’épaule dans les années 2000 : il annonce l’abandon de son programme nucléaire et se pose en allié de l’Occident contre le terrorisme. L’ex-paria devient fréquentable, malgré ses tenues excentriques, ses frasques, sa mégalomanie, le cynisme et la barbarie dont il peut faire preuve, comme l’illustre le calvaire des infirmières bulgares, froidement accusées d’avoir inoculé le sida à près de 400 enfants libyens… Cependant, le soulèvement de 2011 et la violence avec laquelle il y réagit vont lui coûter non seulement le pouvoir, mais la vie.   R.S.

 

Le général Haftar

Une ambition libyenne

Il est l’une des rares figures qui auront émergé du chaos libyen. Le général Khalifa Haftar, 73 ans, a fait une entrée en scène fracassante au mois de février 2014 en lançant une opération dite Al-Karama (« la dignité »), dans le but d’éradiquer le « terrorisme islamique » en Cyrénaïque (est de la Libye).

Ce militaire n’est pourtant pas un homme neuf. Il avait participé au putsch de septembre 1969 aux côtés de Kadhafi et, dix-sept ans plus tard, dirigeait le corps expéditionnaire libyen au Tchad. C’est là qu’il a été fait prisonnier et transféré aux États-Unis, où il a vécu jusqu’au soulèvement de 2011 contre le dictateur.

Tant que le général Haftar, soutenu par l’Égypte et les Émirats arabes unis, se cantonnait dans sa région de l’Est, il apparaissait comme un élément utile pour contenir les milices islamistes. Mais, en septembre 2016, il a lancé ses forces à la conquête des terminaux pétroliers entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine. C’est une manière de s’en prendre directement au gouvernement d’union nationale – ou supposé tel – qui est reconnu par les capitales occidentales, mais dont il conteste la légitimité. Autant dire que l’ambitieux Haftar complique un peu plus une situation déjà passablement embrouillée.   R.S.

 

Jasmin

Un emblème contesté

Après la révolution des Œillets au Portugal (1974) et celle des Roses en Géorgie (2003), la Tunisie s’est donc offert une « révolution du Jasmin ». Le terme est apparu pour la première fois, semble-t-il, le 13 janvier 2011, sur le blog d’un journaliste du quotidien Essahafa, Zied Al-Heni. Les médias occidentaux l’ont immédiatement adopté.

Mais cette fleur blanche, synonyme de douceur, ne fait pas l’unanimité parmi les Tunisiens. Certains y voient une insulte aux morts et aux blessés, victimes des événements. D’autres rappellent que Ben Ali avait qualifié sa prise du pouvoir en 1987 de… « révolution du Jasmin ».   R.S.

 

Al-Jazeera

Une aura déclinante

Fondée en 1996 par l’émirat du Qatar, la chaîne qui a pour slogan « l’opinion et l’autre opinion » provoque une émulation certaine dans tous les pays arabes au moment de sa création. Lors de sa première visite au siège, le président Hosni Moubarak avait ironisé : « Et c’est cette boîte d’allumettes qui fait tout ce bruit ? » Sa couverture des révoltes populaires marque un tournant significatif pour la chaîne, suivie dans tout le monde arabe. Accusée d’être ostensiblement pro-Frères musulmans dans son suivi des révoltes en Égypte, Al-Jazeera, incontournable durant quinze ans, perd de son aura. Plusieurs de ses journalistes démissionnent. D’autres seront détenus au Caire après le coup d’État militaire et poursuivis en justice pour « diffusion de fausses informations » ou « soutien à un groupe terroriste », qualificatif octroyé par le nouveau régime aux Frères musulmans.   W.M.

 

 

Mohammed VI

Au nom de Dieu et de la modernité

Le 9 mars 2011, moins de trois semaines après la première manifestation du printemps arabe au Maroc, Mohammed VI a annoncé une réforme constitutionnelle, destinée à répondre à certaines revendications. Il a tenu parole, même si ce texte n’a pas changé grand-chose au pouvoir immense dont jouit le souverain. S’il est désormais contraint de choisir le chef du gouvernement dans le parti arrivé en tête aux élections – en l’occurrence le Parti de la justice et du développement, un parti islamiste –, c’est toujours lui qui nomme et démet les ministres, et les décrets royaux ne sont pas susceptibles de recours.

Cela fait dix-sept ans que Mohammed VI a succédé à son père, Hassan II. Comme lui, il doit gérer la délicate question de la « marocanité » du Sahara occidental, face à l’Algérie. Comme lui, il s’appuie sur son titre de Commandeur des croyants, qui ne fait pas l’unanimité, pour contenir la vague islamiste. Et comme lui, il possède une immense fortune, avec une holding familiale qui est le premier opérateur privé du royaume.

On lui doit un développement de l’économie marocaine et différentes mesures en faveur des plus défavorisés, mais le chômage des jeunes atteint des niveaux inquiétants. S’il a gracié 25 000 détenus en 2009 à l’occasion de ses dix ans de règne, les services de sécurité restent tout-puissants, d’autant que le Maroc n’a pas été épargné par les attentats terroristes.

Comment concilier modernité et monarchie de droit divin ? Malgré la poussée fondamentaliste, Mohammed VI a réussi à réformer le Code la famille et à inscrire l’égalité entre hommes et femmes dans la Constitution.   R.S.

 

Ali Abdallah Saleh

Un potentat yéménite

Né en 1942 dans un village à l’est de Sanaa, Ali Abdallah Saleh appartient à une tribu membre de la confédération Hashed, une des plus importantes du nord du Yémen. Sa tribu est d’origine zaïdite, une branche lointaine du chiisme. Saleh est un simple officier quand il accède à la présidence du Yémen du Nord en 1978. Il devient, en 1990, le premier président du Yémen réunifié. Il est réélu en 1999 et 2006.

À la suite de manifestations contre son régime personnel, en janvier 2011, il renonce à se représenter et propose un référendum constitutionnel, des élections législatives et présidentielle avant fin 2011. Mais les manifestants exigent son retrait immédiat. En juin, il quitte le Yémen pour se soigner en Arabie saoudite. Revenu en septembre, il signe deux mois après, sous la pression populaire, le « plan de sortie de crise » du Conseil de coopération du Golfe, qui prévoit son départ du pouvoir tout en lui assurant une immunité. Saleh reste au Yémen, où il continue d’être actif à la tête de son parti, le Congrès populaire général.

En septembre 2014, la rébellion houthie, venue du nord du pays où la population est majoritairement zaïdite et contre laquelle il avait été en guerre de 2004 à 2010, s’empare de la capitale yéménite Sanaa… avec son soutien. Saleh tire profit du chaos. Mais sous l’égide de l’Arabie saoudite, une coalition de dix pays arabes lance une guerre au Yémen, avec le soutien de puissances occidentales, dont la France. Le conflit est toujours en cours.   W.M.

 

Al-Baghdadi

Le calife autoproclamé

Né en 1971 à Samarra (au nord de Bagdad), sunnite, Abou Bakr Al-Baghdadi (de son vrai nom Ibrahim Awad Ibrahim Ali Al-Badri) obtient un mastère en sciences islamiques de l’université de Bagdad en 1999, puis un doctorat à l’université Al-Nahair en 2007. Durant ses études, il rejoint l’organisation des Frères musulmans. Après l’invasion américaine de 2003, il participe à la création du mouvement insurgé Armée des partisans de la Sunna et de la communauté. Arrêté en février 2004 par les forces américaines, il est emprisonné au camp Bucca (au sud de l’Irak) durant dix mois. À sa sortie, en décembre, il rejoint Al-Qaïda.

En octobre 2006, Abou Ayoub Al-Masri fonde l’État islamique en Irak, affilié à l’origine à Al-Qaïda. À sa mort, en avril 2010, Al-Baghdadi en prend la tête. Des dissensions apparaissent avec Al-Qaïda jusqu’à ce qu’en février 2014, il annonce sa rupture avec son organisation-mère. Installé en Syrie à Rakka, siège de Daech, il y conforte ses positions avant de lancer une vaste offensive dans le nord de l’Irak. Après la prise de Mossoul, deuxième ville du pays, il annonce officiellement la constitution du califat le 29 juin 2014. Aucun représentant musulman d’envergure ne lui prête allégeance, mais progressivement divers groupes armés, en particulier dans le Sinaï égyptien et en Libye, se rallient à lui.   Kh.M.

 

Ennahdha

Un parti « démocrate-musulman »

C’est un long chemin qu’a parcouru le parti Ennahdha avant de devenir la première formation politique de Tunisie. Né en juin 1981 sous le nom de Mouvement de la tendance islamique, il s’inspire de la confrérie égyptienne des Frères musulmans. Son principal fondateur, Rached Ghannouchi, fils de paysans, a été étudiant au Caire, à Damas et à Paris, avant d’exercer le métier de professeur de philosophie islamique dans un lycée. Parallèlement, il prononce des prêches très suivis dans des mosquées et dirige une revue, Al-Maarifa.

Bourguiba voit en Ghannouchi un redoutable adversaire et, en 1987, exige même sa condamnation à mort. Mais il n’est pas suivi. Deux ans plus tard, lorsque Ben Ali destitue le vieux leader et cherche à exploiter la religion, le Mouvement de la tendance islamique prend le nom d’Ennahdha (« la renaissance »). Très vite cependant, il apparaît comme une menace pour le pouvoir, qui engage à son encontre une violente répression. La plupart de ses dirigeants choisissent l’exil. Ghannouchi, qui est condamné par contumace à la prison à vie, obtient l’asile politique en Grande-Bretagne. Ennahdha s’associe à plusieurs partis d’opposition pour un combat en faveur des libertés.

Lors du soulèvement de décembre 2010, la direction en exil se contente d’exprimer son soutien au mouvement dont les manifestants ne scandent aucun slogan religieux. Ennahdha est légalisé le 1er mars 2011 et son chef rentre au pays. Il obtient 89 députés lors de la constituante, perd la première place lors des élections de 2014, mais la retrouve deux ans plus tard en raison des divisions qui affectent son principal concurrent, le parti Nidaa Tounes.

Ennahdha, associé au pouvoir, revendique quelque 100 000 adhérents. Lors de son congrès de mai 2016, il a annoncé sa « sortie de l’islam politique » pour adopter « la démocratie musulmane ». Un tournant spectaculaire, mais qui laisse sceptiques – en tout cas très méfiants – nombre de laïques tunisiens.   R.S.

 

Les Frères musulmans

Une confrérie sunnite

Fondée en 1928 par un jeune instituteur égyptien, Hassan Al-Banna, la confrérie des Frères musulmans est en quelque sorte la matrice moderne de l’islam politique dans le monde sunnite. Ce mouvement a débordé, en effet, la vallée du Nil et enfanté toutes sortes de groupes, souvent plus radicaux que lui, comme le Hamas à Gaza, ou carrément djihadistes, comme Al-Qaïda.

Al-Banna dénonçait la laïcisation progressive de son pays entre les deux guerres. Pour lui, la séparation du politique et du religieux, à la manière occidentale, était inacceptable. « On a besoin, disait-il, de tribunaux, d’écoles et d’un gouvernement musulmans, appliquant effectivement les injonctions de la Loi de Dieu. »

Jusqu’en 2010, le slogan des Frères musulmans en Égypte était : « L’islam est la solution. » Arrivés au pouvoir – avec l’appui du Qatar, alors que l’Arabie saoudite soutenait leurs concurrents salafistes –, ils ont changé de langage. Mais la violente répression dont ils sont victimes depuis leur éviction a rebattu les cartes.   R.S.

 

Anne Patterson

Une erreur diplomatique

Ce 28 janvier 2011, alors que les manifestants se retrouvent par milliers place Tahrir, au Caire, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton est invitée à l’émission Meet the Press. Seul Moubarak, clame-t-elle, est capable de mener une « transition pacifique et ordonnée vers une réelle démocratie ». En fait, sur ce sujet, la Maison-Blanche se déchire. Dans le camp d’Hillary Clinton, on trouve le secrétaire à la Défense, Robert Gates, et le vice-président, Joe Biden. Mais d’autres conseillers de Barack Obama jugent que maintenir Moubarak au pouvoir tient de la chimère. Le lendemain, Obama tranche : la transition, annonce-t-il, c’est « tout de suite ». Dix jours après, sous la pression populaire, Moubarak quitte le pouvoir. Bientôt, les Frères musulmans gagnent les élections législatives libres. Un des leurs, Mohamed Morsi, est élu président.

Mais un an plus tard, un mouvement nommé Rébellion lance une pétition dénonçant l’impéritie et l’autoritarisme du gouvernement des Frères musulmans. Il récolte vite plus de 10 millions de signatures. Du jamais vu. Or l’ambassadrice américaine au Caire, Anne Patterson, répète sans discontinuer que la contestation est vouée à l’échec et que les Frères musulmans « sont là pour longtemps ». Le 13 juillet, l’armée renverse le président Morsi et instaure l’état de siège. Les Frères musulmans sont balayés de la scène politique. La Maison-Blanche est prise de court.   S.C.

 

Abdallah d’Arabie

Une contre-révolution politique

Né en 1924, Abdallah Ben Abdelaziz Al-Saoud a été de 2005 à sa mort, en 2015, roi d’Arabie saoudite. Pendant les révoltes de 2011, il soutient les dirigeants en place, en particulier en Égypte. Et il annonce des mesures sociales dans son royaume. Il accorde aussi le droit de vote et d’éligibilité aux femmes aux élections municipales, seul scrutin dans le pays. Il fait siéger trente femmes au Conseil consultatif (parlement sans pouvoir dont les membres sont désignés par le roi).

Quand des contestations populaires pacifiques débutent le 14 février 2011 à Bahreïn, petite pétromonarchie voisine, Abdallah s’en inquiète. La population bahreïnie, dirigée par le roi sunnite Hamad Ben Issa Al-Khalifa, est à 70 % chiite. Celle d’Arabie à 15 %. Abdallah craint une extension chez lui de ce mouvement. Il mène dès lors une forte répression anti-chiite en Arabie et soutient celle en cours à Bahreïn. Bientôt, il y envoie des soldats saoudiens de la force commune du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Une première depuis sa création. C’est le début de la contre-
révolution. Les révoltes continuent, la répression aussi, sur fond de conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran.   W.M.

 

Daech

Un drapeau noir

Le drapeau noir est apparu à plusieurs reprises comme symbole de l’islam dans son histoire, depuis la victoire des Abbassides contre les Omeyyades en 750. Celui de Daech aurait fait son apparition en janvier 2007 en Irak, avec sa diffusion sur Internet au nom de l’« État islamique d’Irak » par Al-Fajr (organe de propagande d’Al-Qaïda). Son objectif était de « rassembler les croyants sous une unique bannière pour les unifier ». Dessus, on peut lire l’attestation de foi : « Il n’y a de Dieu qu’Allah et Muhammad est Son Messager », ce que l’on appelle la formulation du « monothéisme pur » (tawhid). Sur ce drapeau, la seconde partie de l’attestation de foi est altérée dans son ordre : on retrouve « Allah », puis en dessous « Prophète », puis enfin « Muhammad ». Certains expliquent cette altération par le fait que le terme Dieu se doit d’être au-dessus des autres mots. Daech s’est inspiré d’un supposé hadith (récit rapportant une parole ou un acte du prophète Muhammad) : « Les bannières noires viendront de Khorasan, rien ne les fera revenir en arrière jusqu’à ce qu’elles soient plantées à Jérusalem. » Le style calligraphique est le koufi, style des premiers corans conservés du début du viiie siècle.   Kh.M.

 

Bassem Youssef

Insupportable humoriste

Pendant des mois, après la chute de Moubarak, il a enchanté des millions de téléspectateurs égyptiens. Bassem Youssef, cardiologue devenu humoriste, s’en est donné à cœur joie sur la chaîne privée CBC, se moquant sans vergogne des salafistes et des hypocrites en tout genre. Même le président élu, Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, n’échappait pas à son ironie ravageuse. On l’a comparé à l’animateur américain Jon Stewart dont il s’était d’ailleurs inspiré et, en 2013, le magazine Time a vu en lui l’une des « 100 personnalités les plus influentes dans le monde ».

Las ! Lorsque le maréchal Sissi a pris le pouvoir en juillet 2013, Bassem Youssef a été accusé de « faire circuler de fausses nouvelles et de déranger la tranquillité de l’administration publique ». L’émission Al-Bernameg a été suspendue et son animateur a préféré s’exiler aux États-Unis. Il présente désormais – en anglais – un « Manuel de démocratie » en plusieurs épisodes sur YouTube, dans lequel il ne se prive pas de moquer les travers de son pays d’adoption.   R.S.

 

Le Président égyptien

Sissi imperator

Promu en août 2012 à la tête de l’armée égyptienne par le président Mohamed Morsi, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi n’a pas hésité à destituer cet islamiste moins d’un an plus tard. Il s’est appuyé pour cela sur le mécontentement ou l’inquiétude d’une grande partie de la population, persuadée que les Frères musulmans étaient incompétents, désireux d’appliquer la charia et de contrôler tous les rouages de la société. Beaucoup d’Égyptiens – et, parmi eux, la plupart des chrétiens – ont vu alors en lui un sauveur qui avait évité au pays une guerre civile, même si ce coup de force, suivi d’une répression brutale, a conduit des extrémistes à incendier plusieurs dizaines d’églises.

Né au Caire en 1954 dans une famille de la petite bourgeoisie, Abdel Fattah Al-Sissi est entré à l’Académie militaire puis a poursuivi sa formation d’officier en Grande-Bretagne et aux États-Unis. C’est un homme du sérail, qui a grandi dans l’ombre. Trop jeune pour avoir participé aux guerres de 1956, 1967 ou 1973, il a été en poste en Arabie saoudite, puis a gravi un à un les échelons pour devenir chef du renseignement militaire.

Ce musulman pieux, dont l’épouse, très discrète porte le voile, est persuadé que l’Égypte n’est pas mûre pour la démocratie. Il a réussi non seulement à se faire haïr des Frères musulmans, mais aussi à perdre la confiance de la majorité des militants laïcs qui le soutenaient. Son souci n’est pas de préserver les libertés, mais d’assurer la sécurité et d’empêcher l’économie de sombrer.   R.S.

 

Aliaa Magda El-Mahdy

Une blogueuse provocante

Jeune femme courageuse ou gamine irresponsable ? La blogueuse et militante féministe Aliaa Magda El-Mahdy divise l’Égypte depuis 2011. En publiant sur son blog une photo d’elle dévêtue, son message est clair : elle souhaite pousser « un cri contre une société de violence, de racisme, de sexisme, de harcèlement sexuel et d’hypocrisie ». Et ce cri est entendu : son site reçoit alors plus de 1,6 million de clics et sa photo suscite 3 000 commentaires. Trois ans plus tard, devenue membre des Femen, elle recommence en s’affichant de nouveau nue, jambes écartées, faisant mine de saigner sur le drapeau de l’État islamique. Dans une Égypte post-Moubarak encore ancrée dans ses habitudes conservatrices, la démarche de cette étudiante en science politique choque. De nombreux militants des droits de l’homme jugent son action contre-productive. Certains déséquilibrés la menacent même de mort. D’autres, au contraire, reconnaissent sa bravoure et voient en elle une inspiratrice. En Israël, des dizaines de femmes se sont déshabillées en solidarité avec Aliaa Magda El-Mahdy, défendant la liberté des femmes et trouvant ainsi « une bonne raison de montrer au monde la beauté unique des femmes israéliennes », qu’elles soient « juives, arabes, hétéros ou lesbiennes ».   M.P.

 

Samar Yazbek

Une résistante syrienne

La Syrie de ses souvenirs était « l’un des plus beaux pays du monde ». Mais c’est l’enfer de ces dernières années qu’elle se sent le devoir de décrire dans ses livres. Samar Yazbek, journaliste et romancière d’origine alaouite âgée de 46 ans, s’est jointe au mouvement anti-Assad en février 2011. Arrêtée puis relâchée, cette ancienne habitante de Damas fait partie de celles et ceux qui continuent de résister. En exil à Paris, elle se bat en écrivant « d’une main tremblante » pour les martyrs de la révolution syrienne. En 2012, dans Feux croisés (Buchet-Chastel), elle livre un grand récit des cinq premiers mois du soulèvement sous la forme d’un journal. L’année suivante, elle raconte l’intimité de la société syrienne, avec Un parfum de cannelle. Pour écrire son dernier livre, Samar Yazbek s’est rendue clandestinement à trois reprises dans la région d’Idlib. Les Portes du néant (Stock, 2016) est sa nouvelle arme de papier. Elle y témoigne de l’horreur du quotidien des activistes, raconte le regard des mères, et se souvient des enfants de sa Syrie natale.   M.P.

 

Bachar Al-Assad

Un clan au pouvoir

« C’est ton tour, docteur », criaient des manifestants syriens après la mort de Kadhafi. Bachar Al-Assad apparaissait comme le prochain dirigeant arabe à devoir subir le « printemps ». Cinq ans après, il est toujours là, et les chancelleries occidentales qui l’accusaient de génocide ne font plus de son départ la condition préalable d’un règlement du conflit.

Cet homme de 61 ans, d’apparence très policée, n’était pas destiné à diriger la Syrie. C’est son frère aîné, Bassel, qui devait succéder au redoutable Hafez Al-Assad. Mais la mort du dauphin dans un accident de voiture, en 1994, a changé le destin du docteur Bachar, qui poursuivait sa spécialisation en ophtalmologie au Western Eye Hospital de Londres. Son père l’a choisi comme remplaçant, de préférence au troisième frère, Maher, et ce malgré sa timidité et son peu d’attirance pour la politique. Rappelé en Syrie, il a suivi une formation militaire accélérée qui lui a fait atteindre en quelques années le grade de colonel de la garde présidentielle. Et, en juillet 2000, à la mort du Vieux Lion, il a pris sa place, comme dans une monarchie de droit divin.

Son discours d’investiture, qui contenait des promesses de réforme, a laissé croire aux plus optimistes que la Syrie se dirigeait vers une forme de démocratie. La modernité du nouveau chef d’État était soulignée par son épouse, la jeune Asma, aux allures de mannequin, qui avait travaillé dans une banque américaine à Londres après avoir décroché, entre autres, un diplôme de littérature française.

On s’est vite aperçu cependant, malgré quelques réformes économiques, que Bachar Al-Assad était lié au système : à savoir le clan au pouvoir, appartenant à la minorité alaouite (une branche du chiisme), alors que la population syrienne est majoritairement sunnite. Un clan capable de faire bombarder sans états d’âme des populations civiles et d’infliger les pires tortures aux opposants.   R.S.

 

Aylan Kurdi

Face contre terre

Trois petites années de vie. Né et mort pendant la guerre civile syrienne, Aylan Kurdi n’a connu qu’elle. En septembre 2015, ce garçonnet a perdu la vie en Méditerranée, aux côtés de sa mère et de son frère aîné. Comme des milliers d’autres avant eux, les membres de la famille Kurdi tentaient de rejoindre les rives de l’Europe. C’est pourtant de cet enfant dont se souviendra le monde. Repéré par la photographe turque Nilüfer Demir sur une plage de Bodrum, en Turquie, son corps gisait face contre terre. Sa photo glaçante, relayée par la presse internationale et les réseaux sociaux, a contribué à une prise de conscience planétaire. Une semaine après le drame, François Hollande et Angela Merkel relançaient le débat sur l’accueil des réfugiés en Europe, et la part des Français s’y déclarant favorable passait de 44 % à 53 %.    M.P.

 

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