Chronique d’une révolution manquée
Temps de lecture : 20 minutes
Cet étrange printemps commence au seuil de l’hiver, le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, un bourg agricole du centre de la Tunisie. En conflit avec une policière qui a confisqué sa marchandise, un vendeur ambulant de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, âgé de 26 ans, tente de s’immoler par le feu. Il est transporté à l’hôpital dans un état critique, tandis que des habitants en colère, excédés par leurs conditions de vie, s’en prennent aux autorités.
Bouazizi, titulaire d’un baccalauréat, est l’exemple même du jeune chômeur déclassé, comme il y en a des milliers autour de lui. Si la Tunisie est l’un des dix pays qui ont le plus progressé en matière de revenu, d’éducation et de santé au cours des quarante dernières années, cela est loin de profiter à tout le monde. La famille du président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, est accusée de piller la Tunisie, et le caractère policier du régime devient insupportable.
Au cours des jours suivants, la colère s’étend à d’autres communes. Le 24 décembre, un homme est tué à Bouziane lorsque les forces de l’ordre ouvrent le feu sur des manifestants. Et le mouvement commence à gagner la capitale.
Dans une allocution télévisée, Ben Ali dénonce une « minorité d’extrémistes et d’agitateurs » à la solde de l’étranger. Cela ne fait qu’attiser la fureur des protestataires, à Tunis, mais aussi à Gafsa, à Sousse, à Kasserine… Le chef de l’État doit reprendre la parole, cette fois pour promettre « une meilleure prise en charge des catégories vulnérables ». Trop peu et trop tard.
La geste de Mohamed Bouazizi, décédé le 4 janvier des suites de ses brûlures, a trouvé un écho au-delà des frontières : à Alger et à Oran, la flambée des prix et le chômage provoquent des émeutes, réprimées dans le sang. En Tunisie même, les morts se comptent par dizaines après de nouveaux affrontements avec la police. Ni le limogeage du ministre de l’Intérieur ni l’instauration d’un couvre-feu dans la capitale et sa banlieue ne parviennent à juguler le mouvement.
Dépassé par la situation, le président tunisien multiplie les promesses, après avoir accusé son entourage de l’avoir « trompé » sur la nature des événements. « Dégage ! », répond la foule. Le 14 janvier, on apprend qu’il a fui en Arabie saoudite. Son avion a survolé Charm al-Cheikh, en mer Rouge, où se trouve l’une des résidences de son homologue égyptien, Hosni Moubarak. « Il aurait dû faire une escale et le prendre avec lui », disent les amateurs de nokats (« blagues ») au Caire.
C’est précisément à Charm al-Cheikh que se réunit le 19 janvier un sommet de la Ligue arabe, dont le secrétaire général, Amr Moussa, abandonne pour une fois la langue de bois. « Les citoyens arabes, déclare-t-il, sont dans un état de colère et de frustration sans précédent. » Cet Égyptien sait à quel point son pays s’agite depuis quelques mois. Un jeune blogueur, Khaled Saïd, a été battu à mort par des policiers. Cela a provoqué un mouvement de solidarité spectaculaire autour d’une page Facebook intitulée « Nous sommes tous Khaled Saïd ».
Mais l’Égypte n’est pas la Tunisie, soulignent les analystes. Malgré des similitudes évidentes (système autoritaire, atteintes aux droits de l’homme, corruption, chômage…), les deux pays diffèrent par la taille, la structure sociale et les bases sur lesquelles s’appuie le régime.
Le jour de la fuite de Ben Ali, des manifestations ont éclaté en Jordanie. On en signale ensuite au Yémen et au Liban. Même l’Arabie saoudite semble être gagnée par la contestation… Une contagion ? Depuis la mort de Mohamed Bouazizi, plusieurs immolations par le feu ont eu lieu en Égypte, en Algérie ou en Mauritanie. Les autorités religieuses sont mobilisées. « L’islam interdit catégoriquement le suicide, quelle qu’en soit la raison », déclare le porte-parole de l’université-mosquée d’Al-Azhar, au Caire, l’instance la plus prestigieuse du monde sunnite.
Place Tahrir, une révolution en direct
Le 25 janvier, en Égypte, c’est la fête de la police. Chaque année, un petit groupe d’opposants veut profiter de l’occasion pour « faire sa fête » à la police. Tentative dérisoire, qui n’a aucune chance d’aboutir et à laquelle personne ne prête attention. Mais, ce mardi 25 janvier 2011, encouragés par la chute de Ben Ali, les protestataires, qui se sont organisés par l’intermédiaire des réseaux sociaux, vont, à leur propre surprise, entraîner des milliers d’habitants du Caire. On joue au chat et à la souris avec les policiers anti-émeutes, déployés en force, qui répondent aux jets de pierres par des gaz lacrymogènes puis des tirs.
Des milliers de personnes ont convergé vers le midan Tahrir (« place de la Libération ») qui va bientôt mériter son nom. Les forces de l’ordre mettront plusieurs heures à en chasser les manifestants, dont certains reviendront pour y passer la nuit.
Les accrochages ne se limitent pas au centre du Caire. On en signale également dans des quartiers périphériques, et dans des villes aussi différentes que Suez, Assiout ou Mehalla al-Koubra. Bilan de cette journée historique (on parlera désormais de la « révolution du 25-Janvier ») : 3 morts et plus de 150 blessés.
En Égypte, contrairement à ce qui s’était passé en Tunisie et à ce qui se prépare en Libye, en Syrie et ailleurs, c’est en quelque sorte une révolution en di


« On peut parler d’un échec de l’islam politique »
Yves Aubin de la Messuzière
Avec le recul, quels sont selon vous les éléments déclencheurs des printemps arabes ?
Le principal élément est lié à une aspiration à la liberté. Les manifestants dans la rue exprimaient leur désir de passer du statut de sujets à celui …
Une génération est née
Zyad Limam
À l’origine, il y a eu un événement local tragique qui n’est peut-être même pas remonté jusqu’au bureau du président tout-puissant. En tout cas, pas tout de suite…
Le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, dans ce centre tunisien bien loin des côtes ensoleill…
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