Un homme a marqué la presse du XXe siècle au point qu’il demeure encore aujourd’hui le symbole de l’intelligence et de la rigueur journalistique, c’est Albert Camus. Pourtant, si toutes ses aventures de presse ont marqué leur temps, aucune n’a réussi à s’imposer dans la durée.

Camus, jeune intellectuel de 25 ans, découvre le métier de journaliste en 1937, à Alger républicain, sous l’autorité d’un homme, Pascal Pia, qui connaît bien la presse parisienne et la déteste, tant pour ses partis pris idéologiques que pour ses modes de financement. À Alger, on lui propose une nouvelle aventure : un quotidien créé par 5 000 actionnaires peu fortunés. Ils prônent une totale liberté de plume et fixent un seul interdit : aucun membre de son conseil d’administration ne peut détenir un mandat de député ou de sénateur ni exercer une fonction financière dans une autre société privée. Un tel interdit est bien rare sous la IIIe République.

Le journalisme ? Camus y trouve d’abord « des satisfactions d’une finalité assez basse », comme il l’écrit dans sa correspondance avec Jean Grenier, mais la liberté que lui offre Pascal Pia le séduit. Il s’engage dans le soutien aux Républicains espagnols, dénonce la misère en Kabylie, soutient le mouvement pacifiste. Et tout cela avec passion mais sans outrance. Les lecteurs algérois ne le suivront pas. Alger républicain disparaît après deux années d’existence. De cet échec, Camus retient un mode d’être : « Ne pas s’endormir et veiller jusqu’à la fin des temps. »

Sept ans plus tard, Paris se libère et tout paraît possible. Chaque mouvement de Résistance imprime son quotidien et la population s’arrache la presse. Camus et Pia, de nouveau ensemble, rêvent de créer un journal indépendant financièrement et libre de toute attache vis-à-vis d’un mouvement de Résistance ou d’un parti politique. Ils croient en la naissance d’un mouvement populaire extraparlementaire sur lequel s’appuyer. L’argent ? Cela semble sans importance : les lecteurs sont là, eux feront vivre cette presse d’un nouveau genre et les journalistes imposeront la liberté d’expression.

Camus est exigeant quant au contenu de cette nouvelle presse. Il rappelle, dès août 1944, la place essentielle de la morale, de la vigilance et de la vérité dans l’activité journalistique. Il dénonce le retour, encore discret, des formules toutes faites, des excès de la rhétorique, et des appels à une sensibilité de midinette qui fleurissaient dans la presse d’avant-guerre.

Combat tire à 180 000 exemplaires ; c’est beaucoup pour la petite équipe de la rédaction, mais peu si l’on se tourne du côté du Figaro (445 000 exemplaires) ou de L’Humanité (520 000 exemplaires). Face à ces forces médiatiques et financières, il faut se battre, insiste Camus, et garder les règles éditoriales construites dans la clandestinité. Quitte à perdre des lecteurs. Combat se veut l’expression d’une résistance face à une presse qui « fait appel à l’esprit de facilité », qui « cherche à plaire quand il faudrait éclairer ». Déjà le journal résistant Défense de la France se prépare, sous la direction de Pierre Lazareff, à devenir France-Soir, un grand journal populaire sur le modèle du Paris-Soir d’avant-guerre. Contrairement au rêve de Camus, la France perd peu à peu sa presse libérée de l’argent.

Seul avec son style « pisse-froid », comme le qualifiait méchamment l’écrivain communiste Roger Vailland, Combat s’accroche et assiste impuissant à l’érosion de son lectorat. Sa trésorerie se vide d’autant plus rapidement que les ouvriers du livre se lancent dans des grèves coûteuses pour les journaux sans capitaux. Mais il n’est pas question de faire appel au monde de la finance, de revenir aux pratiques de la IIIe République. Combat avait accepté la concurrence des talents, il refuse la concurrence de l’argent, résumera Camus quelques mois plus tard en commentant la fin de l’aventure.

Nous ne pouvions réussir, dira Pascal Pia en évoquant les puissances financières et l’inconstance de la société des hommes. Arrivera à Combat, introduit par l’ancien résistant Claude Bourdet, un improbable financier, Henri Smadja : propriétaire d’un journal tunisien, il rêve de posséder un quotidien parisien, ce sera chose faite en 1947.

Albert Camus se laissera tenter, une dernière fois, par les promesses de Jean-Jacques Servan-Schreiber, jeune patron mendésiste de L’Express : liberté de parole contre collaboration régulière. Cela durera le temps de trente-cinq articles, de mai 1955 à février 1956. La guerre d’Algérie a commencé et Camus croit, seul contre tous, à une possible trêve…

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