Camus a vécu en Algérie jusqu’à ses 26 ans. Quelle empreinte lui a définitivement laissé ce pays ?

D’abord celle de la misère. L’image qu’il a de son peuple, c’est bien celle d’un peuple misérable, et cette image va le déterminer pour le restant de sa vie. À Alger, la population européenne est majoritaire, mais là aussi une grande partie de celle-ci est composée de gens modestes. Ils vivent dans des appartements étroits où ils s’entassent. Il y avait beaucoup d’ouvriers, de petits artisans… C’est le milieu familial de Camus, dont la mère est illettrée. Il vient de très loin et doit tout à son instituteur, à l’école républicaine. Il aura à cœur de ne jamais trahir ses origines sociales.

La deuxième chose qui le marque, c’est la lumière et la sensualité. Nous sommes dans un pays méditerranéen avec les femmes qui passent dans la rue – le paseo espagnol –, les corps, la plage. On montre, mais on ne se livre pas. Une séduction doublée d’une frustration.

La troisième, c’est la violence de cette société – ce qu’il raconte dans L’Étranger. Les gens s’observent, s’aiment et se haïssent. Ce n’est pas une société froide. Cette société-là succombe très rapidement à l’engrenage des passions. Cette dernière empreinte, il va s’en arracher, prendre ses distances. Il éprouve de l’empathie pour les Européens d’Algérie tout en étant capable de prendre du recul, car il connaît leur outrance !

Qu’est-ce qui le conduit à adhérer au Parti communiste ?

Sa volonté de lutter contre les injustices sociales. Mais le plus important, c’est ce qu’il y trouve. Son passage au PC lui offre une ouverture au monde. II rencontre des militants espagnols antifranquistes, des Algériens musulmans, il se familiarise avec la politique étrangère. Et le PC le met en contact avec la politique française, le Front populaire et Léon Blum. Pour ce jeune provincial de l’Algérie, c’est un bond. Qu’on le veuille ou non, le PC, en dépit du totalitarisme, a été une formidable école d’ouverture pour des tas de générations en leur donnant le goût des idées. Camus n’échappe pas à cette règle.

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