L’écrivain Albert Camus a longtemps éclipsé le penseur, méprisé. Il est aujourd’hui reconnu comme un essayiste de premier plan. Le titre des trois volumes de ses chroniques, Actuelles, est révélateur de sa volonté d’être en prise avec les sujets graves du moment. En un temps où l’histoire s’emballait, il a voulu défendre ce qui en l’homme est essentiel, ce sur quoi on ne pouvait transiger sans danger. Son horizon était alors la bombe atomique, la guerre froide, la décolonisation. Pour nous, un autre monde.

Et pourtant. Relire l’auteur de L’Homme révolté, c’est découvrir un homme habité par des soucis qui résonnent singulièrement avec les nôtres. En témoignent quatre citations que nous avons proposées à la réflexion de plumes familières de son œuvre, dont les thèmes occupent et parfois saturent nos esprits : le dégoût du politique et le désir de révolte, dont l’abstention électorale et les Gilets jaunes sont les symptômes ; la défiance qui se creuse face à une presse jugée peu crédible et pas assez indépendante ; l’inquiétude devant la mondialisation, dont témoigne le regain du souverainisme ; enfin, la violence du débat d’idées et du combat politique, dont les figures hétéroclites tournent dans nos têtes, du petit harceleur anonyme des réseaux au djihadiste, en passant par les militants de tout crin favorables au coup de main. Avant nous, et certes dans un tout autre contexte, Camus a fait l’expérience de problèmes sinon semblables, du moins comparables.

Alors, « actuel », Camus ? Voire. Lecteur admiratif de Nietzsche, il n’ignorait pas que ce dernier avait publié quatre tomes de Considérations inactuelles. Pour le philosophe de Sils Maria, le penseur authentique ne peut être qu’en porte-à-faux avec son temps. Non qu’il rêve d’hier, mais ses pensées ne sont pas celles d’aujourd’hui : indépendant, il met à la question les idées grégaires et s’oppose aux modes sans pour autant se vouloir original. Il est l’homme authentiquement libre, « mauvaise conscience de son temps », qui accepte de payer sa tâche de « médecin de la culture » d’une certaine solitude. Singulier portrait de Camus, qui eut à souffrir du poids de ses engagements…

Vous avez aimé ? Partagez-le !