Depuis sa troisième place à l’élection présidentielle et l’accord constituant la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) en vue des élections législatives, Jean-Luc Mélenchon est revenu sur le devant de la scène publique. Singulier destin pour le dirigeant Insoumis, qui a réussi l’exploit de devenir le leader d’une gauche (relativement) unifiée pour la première fois en vingt-cinq ans et revendique même d’être « élu Premier ministre » – formidable coup de com’ dans une campagne législative atone. Mais de quelle gauche la Nupes acte-t-elle le retour ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le personnage politique de Jean-Luc Mélenchon, afin d’appréhender la manière dont il a su, inlassablement depuis une dizaine d’années, faire du neuf avec de l’ancien.

À première vue, c’est la nouveauté qui frappe lorsqu’on observe l’œuvre politique du nouveau patron de la gauche unie. En quinze ans, depuis son départ du PS en 2008, il a su organiser loin des vieux partis un mouvement « gazeux » mais politiquement efficace, idéologiquement cohérent et soudé autour de son chef : la France insoumise. Ce faisant, il est parvenu à faire émerger autour de lui une génération d’inconnus, talentueux pour la plupart, et des milliers de militants aguerris et disciplinés. Avec eux, il a organisé des rassemblements populaires massifs, que ce soit dans les rues de Paris ou sur les plages de Marseille, mais aussi des meetings innovants, avec force hologrammes et contenus « immersifs ». Lors des trois dernières campagnes présidentielles, il a tiré profit de la présidentialisation d’une Ve République, qu’il brocarde par ailleurs et, depuis 2017, a systématiquement pris l’avantage sur les autres candidats de la gauche, frôlant même la qualification au second tour cette année. Il est parvenu à imposer des mots d’ordre innovants à un monde médiatique souvent hostile à ses idées et à sa personne, notamment par sa maîtrise des réseaux sociaux et des nouveaux médias grâce auxquels il a pu s’adresser directement à ses sympathisants, mais aussi à la jeunesse. Last but not least, il a réussi à prendre la tête d’une gauche longtemps dominée au centre par le Parti socialiste, pour renouer avec un souffle de radicalité surfant sur les angoisses environnementales et les colères sociales.

Il a su, inlassablement depuis une dizaine d’années, faire du neuf avec de l’ancien

Ce bilan, dont l’histoire n’a pas encore dit s’il serait amoindri ou renforcé par une défaite ou une victoire aux élections législatives à venir, le place au-dessus de la mêlée politique de son temps, faisant de lui l’un des acteurs politiques les plus fascinants de l’époque. Et ce malgré un tempérament volcanique et des emportements réguliers et incontrôlés qui lui valent de solides inimitiés. Son caractère a ainsi contribué à polariser son image, et s’est accompagné dans son parti d’un culte de la personnalité qui l’a intronisé en « Jupiter de gauche ».

Le plus surprenant dans ces innovations est qu’à bien y regarder, Jean-Luc Mélenchon a surtout recyclé des habitudes et une manière de faire de la politique tirées du passé. De l’Organisation communiste internationaliste (OCI), groupuscule trotskiste qui l’a formé politiquement au début des années 1970, et dans lequel il militait aux côtés de Lionel Jospin ou Jean-Christophe Cambadélis, il a gardé de solides réflexes politiques : le sens de l’agit-prop et une capacité à jouer avec les rapports de force pour élargir l’influence des courants minoritaires. Il conserve également de cette époque le goût du secret concernant sa vie personnelle, la vie publique primant tout, et la fusion du militant dans l’homme tout court. Du Parti socialiste dont il aura été membre pendant plus de trente ans, il a retenu le sens de l’État, exacerbé par son expérience ministérielle (2000-2002), ainsi qu’une éloquence parlementaire, acquise durant sa période sénatoriale (2004-2010), qui le conduit à convoquer fréquemment des références inspirées de la IIIRépublique – il aime citer Victor Hugo ou Jean Jaurès dans ses discours fleuves – mais aussi un goût des appareils et des combinaisons électorales déterminant dans la constitution de la Nupes. Il s’est souvenu des leçons de François Mitterrand – son modèle absolu, à qui il rêve de ressembler – sur la nécessaire union de la gauche pour espérer gagner les élections dans un pays structurellement conservateur.

Le sens de l’agit-prop et une capacité à jouer avec les rapports de force

S’il ne cultive plus le romantisme bolivarien – on l’a vu défendre pendant des années le populiste vénézuélien Hugo Chavez, dont il admirait la capacité à électriser les foules –, il a conservé de l’expérience de la gauche révolutionnaire sud-américaine une fascination pour la notion de peuple qui transcende les clivages et fusionne avec son leader. Sur le plan démocratique, cette appétence pour le leadership charismatique le conduit également à gérer son mouvement d’une manière souvent qualifiée d’autoritaire et d’opaque, et ce malgré le fait qu’il n’occupe aucune position officielle dans l’organigramme de La France insoumise.

La Nupes est le produit de toutes ces ambivalences. Alliance à la fois novatrice dans sa forme et dans les idées qu’elle porte, elle est aussi profondément ancrée dans l’histoire de la gauche française, avec ses ambiguïtés sur son rapport au pouvoir, son désir de rupture avec l’ordre ancien et son rapport à la démocratie interne. Son programme de 650 propositions oscille entre des mesures classiques d’interventionnisme étatique et de défense des acquis sociaux hérités des Trente Glorieuses, et l’invention d’un monde nouveau, en rupture avec le capitalisme, plus inclusif et plus écologique. Il n’est pas étonnant qu’un tel attelage déconcerte tous ceux qui ignorent cette histoire, de même que ceux qu’effraie la radicalité apparente de ses idées. Mais le pari de M. Mélenchon dépendra surtout de sa capacité à convaincre les électeurs de gauche que l’hégémonie de ses principes et de ses méthodes est de nature à constituer une voie d’avenir pour une gauche longtemps moribonde, et pas encore très au clair sur les formes de sa résurrection.

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