Pendant la campagne présidentielle, on a beaucoup entendu dire que la gauche était morte. Le résultat de Jean-Luc Mélenchon est venu démentir cette idée et l’accord imprévu entre les Insoumis, EELV, le PC et le PS a également démenti que les gauches étaient irréconciliables. Ce rapprochement repose la question de savoir ce qu’est une gauche qui pourrait gouverner. L’accord donnant naissance à la Nupes laisse d’autant plus ouvertes des questions essentielles qu’il a été conclu très rapidement et qu’il ne nous permet pas de savoir précisément quelles sont les parts de convergences, de discussions et de divergences entre les forces de gauche. Néanmoins, cet accord a ceci de positif qu’il entretient une dynamique pour les législatives et qu’il réinscrit la gauche dans le débat politique et même dans la pratique gouvernementale. Même si Jean-Luc Mélenchon ne devient pas Premier ministre, un certain nombre de valeurs de gauche pèsent de nouveau dans le rapport de force : l’exigence de solidarité, des valeurs sur les questions migratoires à l’opposé de celles de l’extrême droite, les préoccupations sociales et écologiques, la question de l’égalité des territoires posée par les Gilets jaunes.

 Jean-Luc Mélenchon a toujours affirmé sa stature présidentielle dans une forme de pouvoir jupitérien de gauche

Cela dit, plusieurs points posent question dans cet accord. Je m’attarderai ici sur deux d’entre eux. Le premier est une question de méthode : comment faire vivre une gauche dans sa diversité, une gauche plurielle pour faire référence au gouvernement Jospin, avec un leader, Jean-Luc Mélenchon, qui a toujours affirmé sa stature présidentielle dans une forme de pouvoir jupitérien de gauche ? C’est un point qui me semble crucial : comment un accord ayant surtout pour but de graver dans le marbre l’hégémonie des Insoumis pourrait-il déboucher sur des pratiques collectives à gauche ?

Le deuxième point, c’est celui de l’Europe dans son articulation avec les questions environnementales. S’il y a un domaine où l’on ne peut pas dire que l’Europe ait été en retard, c’est bien sur la question écologique. La Commission et le Parlement européens ont, de longue date, porté une pratique du droit environnemental et se sont donné des objectifs ambitieux sur les questions climatiques. L’Union européenne a joué un rôle de meneur dans la mise en place du protocole de Kyoto en 1997 et dans les grandes négociations internationales ; elle a pris des initiatives essentielles avec le règlement Reach sur les substances chimiques ou avec les zones Natura 2000 de sauvegarde de la biodiversité.

Ces constructions juridiques n’ont sans doute pas permis la mise en place de politiques communes suffisamment ambitieuses – les grandes difficultés à verdir la politique agricole commune (PAC) en témoignent – mais ne pas voir que l’UE a été un lieu pionnier en matière environnementale et que le Pacte vert, qui se déploie depuis 2019, offre une vraie dynamique serait un contresens très profond. Du coup, comment comprendre que la Nupes revendique une priorité écologique tout en combattant l’Union européenne, ne serait-ce que par l’indiscipline ou l’insoumission ? Ce point me paraît très problématique.

Il y a d’autres questions sur lesquelles des divergences sont visibles. Je pense à la difficulté de faire vivre en même temps la diversité et une laïcité ouverte. Sur bien des sujets, il reste de nombreux débats à mener. On en revient à ce que j’exposais plus haut : si l’on veut croire à une reconquête de la gauche, il est essentiel que s’instaure une respiration démocratique entre les différentes familles qui la composent, que les choses ne restent pas figées sur un accord aussi hâtivement conclu. Si on laisse jouer les lignes de tensions pour les rendre fécondes, cet accord peut se transformer en un imprévu positif. 

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