Lors du premier tour de l’élection présidentielle, les jeunes ont voté Jean-Luc Mélenchon de façon plus importante que leurs aînés. Comment expliquez-vous cette adhésion ?

Il faut garder en tête qu’il existe une diversité de jeunesses. Il y a une jeunesse plutôt avantagée du point de vue de ses origines sociales avec un niveau de diplôme souvent important. Elle peut être préoccupée par les questions environnementales ou encore les risques de déclassement. Ces jeunes attendent des décideurs des mesures assez radicales sur ces sujets, qui sont liés notamment à la justice sociale. Ils ont porté leurs voix vers Jean-Luc Mélenchon. À côté de cela, il y a une jeunesse qui provient des quartiers populaires. Elle subit des difficultés socio-économiques et est souvent victime de discriminations liées au lieu de vie ou aux origines ethno-raciales. Ces jeunes peuvent attendre beaucoup des politiques de soutien de l’État.

On retrouve cette diversité dans le « vote jeune » pour Mélenchon. Pourtant, ces différentes jeunesses n’ont habituellement pas la même pratique du vote. On entend souvent évoquer l’opposition entre la fin du monde et la fin du mois, entre l’écologie et les questions sociales. On ne l’a pas retrouvée cette fois : Mélenchon a réussi le tour de force de réunir ces différentes jeunesses, ce qui est assez rare pour être signalé. Toutefois, il n’est pas parvenu à séduire le jeune électorat des territoires ruraux en voie de désindustrialisation qui subit des difficultés d’accès à l’emploi. Il y a donc quand même une jeunesse qui n’est pas représentée par le vote pour Jean-Luc Mélenchon.

Au sein des différentes catégories de la jeunesse, le niveau d’adhésion a pu varier aussi entre ceux qui étaient convaincus par le programme et ceux qui ont plutôt fait le choix d’un « vote utile » par stratégie électorale, Jean-Luc Mélenchon apparaissant comme celui qui, à gauche, avait le plus de chance d’être au second tour.

La nouvelle union de la gauche peut-elle répondre à certaines aspirations exprimées par la jeunesse ?

On constate une défiance très forte à l’égard des partis, avec un rejet des petites phrases, des conflits internes, des rivalités politiques… Les jeunes considèrent que ces rivalités sont éloignées des enjeux actuels et participent à la distance entre les politiques et ce que vivent les citoyens sur le terrain. Les jeunes électeurs de gauche attendent davantage en matière de renouvellement de la vie politique et de capacité des partis à répondre à leurs attentes. Cette envie de renouvellement peut passer par une forme d’entente ou d’accord entre les partis. La Primaire populaire a été plébiscitée et dynamisée par la jeunesse, qui a lancé des initiatives. Ce n’est pas anodin. Cette jeunesse veut faire une politique différente de celle de ses aînés.

D’une manière plus générale, comment percevez-vous les attentes des jeunes à l’égard de la politique ?

Il y a beaucoup d’idées préconçues sur l’investissement et l’intérêt des jeunes pour la politique, notamment en période électorale. Ce qui ressort de différentes enquêtes, c’est que leur intérêt est bien réel, contrairement à ce qui est souvent répété, car on l’associe par erreur au niveau d’abstention. En revanche, la démocratie représentative peine à convaincre, en particulier chez les jeunes, avec une défiance à l’égard des candidats et des partis. Cette forme de démocratie, généralement entendue en termes de délégations de pouvoir à travers lesquelles le peuple s’effacerait au profit des élus chargés de le représenter, ne fonctionne plus aux yeux d’une jeunesse qui veut s’impliquer et être entendue, qui considère qu’il y a des urgences, notamment climatique et sociale. D’autant plus qu’ils font le constat que les instances de concertation sont souvent dévoyées, alors que les citoyens voudraient s’exprimer davantage.

« Mélenchon a réussi le tour de force de réunir la jeunesse diplômée et celle des quartiers »

Mais la pratique démocratique ne se limite pas à la seule dimension électorale. Il y a moins un déclin du rapport des jeunes à la démocratie par rapport aux générations précédentes qu’une mutation des régimes de citoyenneté. Avec une aspiration à une évolution profonde des pratiques. On observe qu’ils portent un regard plutôt critique sur la verticalité du pouvoir, sur les principes de hiérarchisation, avec d’un côté les citoyens et de l’autre les élus et organisations partisanes, qui reposent sur le modèle de l’homme ou de la femme providentiels.

Comment s’engagent ces jeunes ?

Ils s’investissent dans de nouvelles arènes démocratiques, ce qui confirme que nous ne sommes pas tant confrontés à une crise démocratique en tant que telle qu’à une reformulation, une autre façon de voir la politique. On retrouve des jeunes dans différentes actions, que ce soient des occupations de places, l’engagement dans les ZAD – même si cela reste minoritaire –, la participation à des collectifs, à des civic tech (c’est-à-dire des espaces ou des outils numériques visant à favoriser la participation citoyenne), à des actions de défense de l’environnement, l’emploi de hashtags mobilisateurs sur les réseaux sociaux, etc. L’engagement associatif est également au moins aussi important que celui des autres catégories d’âge.

On peut dresser un parallèle avec l’idée, soulignée par Pierre Rosanvallon, que la démocratie finit par englober jusqu’à sa propre remise en cause. Elle se définit avant tout par la controverse, par les luttes et les débats qui l’animent, la contestent et la transforment, et qui agissent ainsi sur son cadre normatif et son évolution.

Qu’est-ce qui motive ces jeunes à s’engager ?

Jusque dans les années 1970, ils s’engageaient principalement par rapport à des questions matérielles, liées à leurs conditions de vie, au pouvoir d’achat… On est passé à des générations qui s’engagent plutôt pour des causes post-matérialistes, liées aux inégalités et à la justice sociale comprises dans un sens plus large, aux discriminations ethno-raciales, à l’égalité femmes-hommes. On observe de vrais changements au niveau des causes et de la façon de penser les engagements.

La jeunesse est-elle plus radicalisée aujourd’hui ?

La question de la radicalité revient beaucoup quand on parle des jeunes qui s’engagent dans la défense du climat, mais il faut la mesurer. C’est difficile de parler aujourd’hui d’une jeunesse qui serait vraiment radicalisée, en opposition avec la société, quand on voit, par exemple, les contraintes auxquelles elle a été assujettie pendant la crise sanitaire et le relatif calme et l’acceptation de ces règles. Nous n’avons pas été confrontés à un mouvement social d’envergure ou à une crise réelle face à cette situation exceptionnelle, alors qu’en d’autres temps, la précarisation accrue et l’exacerbation des inégalités auraient pu déboucher sur de grands mouvements sociaux.

« Le dérèglement climatique est appréhendé par les nouvelles générations comme une urgence absolue »

Malgré tout, on constate une diversité d’actions collectives qui visent à contester un ordre social, politique ou économique. On l’a vu à travers différents mouvements : à Notre-Dame-des-Landes, avec Nuit debout ou Extinction Rebellion et, pour évoquer l’engagement à droite, avec la Manif pour tous. De nombreux collectifs hétéroclites sont apparus, qu’on considère comme radicalisés, avec des zadistes, des black blocs, des mouvements autonomes ou anarchistes. On y constate parfois un engagement total qui bouscule l’image tenace d’une jeunesse qu’on considère comme dépolitisée ou désidéologisée. Je pense que cela illustre les attentes très fortes par rapport à ce que les jeunes considèrent comme des urgences.

Justement, parmi ces urgences, on retrouve la question climatique ?

Le dérèglement climatique n’est plus une problématique lointaine, abstraite, théorique. Il est appréhendé par les nouvelles générations comme une urgence absolue. Ils attendent des mesures rapides. Les générations des années 1980-1990 se demandaient quel monde elles allaient laisser à leurs enfants. Les nouvelles générations se demandent quel monde leur ont laissé leurs parents et quelles initiatives radicales ils vont devoir engager pour limiter un peu les dégâts. Il y a un changement de paradigme et un nouveau rapport au temps qui impliquent de leur part des bifurcations dans leurs choix de vie et de carrière. On le voit chez les jeunes diplômés, par exemple.

Sur ce point, leurs réactions sont-elles plus radicales ?

Ils sont radicaux dans leurs modes de vie, les choix qu’ils entreprennent, les bifurcations biographiques qu’ils engagent mais je pense qu’ils ne le sont pas tant que ça dans les actions collectives, qui restent non violentes, pacifistes, contrairement à ce qui se passait dans les années 1970-1980. Nous sommes face à une nouvelle jeunesse qui veut faire des choix complètement différents. 

 

Propos recueillis par ORIANE RAFFIN

 

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