« En tant que citoyen de gauche, j’espérais cette union, voire j’en rêvais. Mais, connaissant le personnel politique, je n’y croyais pas », confie Fabrice Serrano. Ancien élu socialiste d’une petite commune du massif de la Chartreuse, il se décrit comme un « citoyen de gauche ». Un temps pressenti pour représenter le PS dans la 5e circonscription iséroise, il est tout à fait à l’aise avec le fait de faire campagne pour un représentant d’EELV au nom de la Nupes, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. Comme de nombreux électeurs de gauche, il attendait même depuis plusieurs années de voir s’afficher une telle unité, inédite depuis la gauche plurielle de Lionel Jospin en 1997.

« Aux yeux des électeurs, l’union était plutôt incontournable, confirme Simon Persico, professeur de science politique à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte. On le constate avec le score de Jean-Luc Mélenchon, qui a largement rassemblé lors du premier tour de la présidentielle, dans une démarche pragmatique de “vote utile”. » Quand elle tracte dans les Hauts-de-Seine où elle est tête de liste sur la circonscription de Neuilly, Puteaux et Courbevoie, Julie Barbaux perçoit le même signal, avec « de bons retours » de la part des sympathisants. « Souvent, les gens nous disent être déçus que l’union n’ait pas eu lieu plus tôt ! précise la jeune professeure des écoles, militante LFI depuis cinq ans. Elle était vraiment espérée, avec l’objectif de battre Macron et de ne pas lui laisser les pleins pouvoirs pendant cinq ans. »

« Je vois des gens revenir vers nous alors qu’on ne les voyait plus depuis un moment »

« Ce que je constate en croisant les militants, c’est que Jean-Luc Mélenchon et LFI ont réussi à capter les jeunes, poursuit Fabrice Serrano. Les étudiants et ceux des quartiers. Il a réussi à réintéresser à la politique. » Depuis l’annonce de la Nupes, le militant PS a noté de premiers effets sur le terrain : « Je vois des gens revenir vers nous alors qu’on ne les voyait plus depuis un moment. Des personnes engagées dans l’associatif, par exemple, qui nous disent avoir envie de s’impliquer de nouveau. Il y a un petit quelque chose, une petite flamme. » À défaut d’avoir pour origine les cadres des partis, ce désir d’union s’est exprimé sur le terrain. « Plus on monte dans les strates partisanes, plus l’idée d’union est compliquée », note le politologue Simon Persico.

En janvier dernier, la Primaire populaire, qui a revendiqué plus de 460 000 inscrits pour tenter de désigner un candidat commun à la gauche lors de l’élection présidentielle, était déjà un signe de cette volonté d’unité, dans un contexte marqué par un rapprochement des idées. « On constate une harmonisation des programmes, des propositions et des enjeux qui font l’unanimité, détaille Simon Persico. Les espaces de valeurs des militants comportent aujourd’hui plus de similarités que de différences. » En premier lieu, la nécessité de lutter pour la justice sociale et contre le réchauffement climatique, avec une convergence entre ces deux priorités. « Il ne faut pas sous-estimer la dynamique que la Primaire populaire a réussi à enclencher », poursuit le politiste. Malgré l’échec de l’initiative, elle a en effet continué à faire germer l’envie d’union dans l’esprit de nombreux sympathisants de gauche. Des militants se sont appuyés sur des réussites concrètes pour pousser et réclamer cette union.

« Les électeurs de gauche n’ont jamais autant été d’accord sur ce qu’ils attendaient »

Déjà en 2020, lors des dernières élections municipales, plusieurs listes transpartisanes, souvent à l’initiative ou en collaboration avec des mouvements citoyens, avaient permis à la gauche de s’imposer dans des communes auparavant dirigées par la droite. Le Printemps marseillais avait permis de dégager une union de la gauche et des écologistes et de s’emparer d’une mairie dirigée depuis vingt-cinq ans par Jean-Claude Gaudin. Autre exemple : en Seine-Saint-Denis, la liste « Autrement Romainville » avait réussi à rassembler largement à gauche au second tour, et pas seulement des militants encartés, autour de valeurs et d’un projet pour la commune. Fort de ce succès, le nouveau maire de Romainville a continué à défendre l’union, cherchant à l’étendre à d’autres scrutins. « Les électeurs de gauche n’ont jamais autant été d’accord sur ce qu’ils attendaient », martèle François Dechy. Des similitudes idéologiques doublées d’un pragmatisme : « L’union, c’est le seul chemin tactique permettant d’entrevoir un petit espoir de gagner », poursuit-il. Afin d’imposer une candidature commune au premier tour de la présidentielle, il a signé à l’automne dernier, avec plusieurs dizaines d’élus et de responsables, le Serment de Romainville qui promettait une grève des parrainages des candidats tant que l’union des gauches écologistes et sociales n’était pas réalisée. « Nous étions face à un constat ahurissant, avec des partis de gauche qui n’avaient jamais autant convergé sur les constats et les solutions et pourtant une fragmentation des candidatures, alors même que la gauche n’avait jamais été à un aussi bas niveau ! » La démarche n’a pas abouti pour le 10 avril 2022, mais elle n’est sans doute pas étrangère, avec bien d’autres initiatives, à la signature de l’accord de la Nupes pour les législatives.

Localement, les listes d’union, avec souvent une coloration citoyenne, ont permis de toucher un public plus large, sensible aux questions sociales et environnementales mais allergique aux logiques des partis. « Je pense que, de toute façon, l’union fait la force. Mais ce ne doit pas être seulement l’union de la gauche. Je ne me reconnais pas dans les partis, leur fonctionnement. Je me suis engagée en tant que citoyenne, dans une union des forces citoyennes et politiques, pour un changement de société », affirme Charlène Cardoso, présidente de l’association Réveillons la Haute-Savoie. La structure, qui rassemble militants, citoyens engagés et représentants de la société civile, s’est créée au lendemain de la victoire d’une autre liste d’union de la gauche, lors des dernières municipales, à Annecy, amenant l’écologiste François Astorg à la tête de cette commune traditionnellement conservatrice. Depuis, la dynamique se poursuit dans le département, avec une réflexion autour de la gouvernance et de la prise de décision pour parvenir à définir un programme commun. « Nous avons rapidement trouvé une manière de travailler ensemble, autour d’un projet : changer la ville d’Annecy, puis la Haute-Savoie, se souvient Charlène Cardoso. Nous nous sommes appuyés sur trois piliers : la transition écologique, la justice sociale et le renouveau démocratique. Nous avons le droit de ne pas être d’accord sur tout, mais nous avons réussi à cultiver le dialogue. »

« Il faut faire avec les territoires et les dynamiques citoyennes en place »

L’association s’est dotée d’un parlement composé de deux cents membres afin de permettre à chacun de partager son point de vue. Ce qui a été possible localement se révèle plus difficile à mettre en place au niveau national. Si Réveillons la Haute-Savoie a proposé des candidatures aux législatives soutenues localement par les partis « amis » de l’association, aucune n’a été retenue par la Nupes. « Le problème, c’est que les décisions viennent de Paris, déplore Charlène Cardoso. Nous sommes assez déçus par la méthode. Le changement viendra des territoires, où on travaille pour structurer les futures listes. On parle de la vie des électeurs, de comment leur bulletin de vote pourra changer leur quotidien, poursuit la jeune femme. Il faut faire avec les territoires et les dynamiques citoyennes en place. »

Dans d’autres circonscriptions à l’électorat modéré, c’est la personnalité de Jean-Luc Mélenchon qui inquiète. « Localement, on a toujours réussi à composer des listes d’union de la gauche, au moins au second tour, souffle un élu local d’une telle liste, sans étiquette. On a l’habitude du compromis, généralement en essayant d’écarter les plus extrémistes. Il faut voir que l’union repose sur l’humain, sur les personnes qui sont investies. Cette fois, l’image de Jean-Luc Mélenchon risque de nous couper de certains de nos électeurs. On a déjà eu des retours en ce sens… », s’inquiète-t-il. Avec des sympathisants votant pour une figure politique locale, pour son engagement et non son étiquette, mais pas forcément prêts à soutenir le chef de file de la France insoumise ni son projet de conquête de Matignon. 

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