Welcome to Arizona, boys !
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À l’automne 2012 et au printemps 2016, j’ai eu la discutable idée de suivre les cours d’une école paramilitaire enseignant la technique de sniper quelque part dans le désert d’Arizona. Je possède aujourd’hui les diplômes qui en témoignent, soit ceux de sniper, contre-sniper, sniper avancé et instructeur. Ainsi l’anthropologie conduit-elle parfois en des lieux étranges, surtout lorsqu’elle tend de plus en plus naturellement vers une sorte de léger ricanement métaphysique…
Je publierai plus tard le récit de cette expérience raffinée, mais là n’est pas mon propos aujourd’hui. Jugeant la chose nécessaire au texte que je suis en train d’écrire, je décidai, il y a quelques mois, de m’acheter, ici, en France, un fusil à lunette qui, j’imaginais, ne serait au mieux qu’un lointain et probablement assez infantile cousin de celui avec lequel j’avais eu l’occasion de m’entraîner aux États-Unis. Je me mis donc à entrer en contact avec plusieurs armureries.
Quelle ne fut pas ma surprise de trouver largement disponible sur le marché et, par ailleurs immédiatement en vente dans un magasin parisien, le même fusil que celui avec lequel j’avais été formé en Arizona, soit une Remington 700 de calibre .308. Modèle qui, à quelques détails près, constitue l’arme la plus commune des snipers des US Marines, et qui peut tirer avec une précision parfaite à plus d’un kilomètre. J’achète ! dis-je à l’armurier. Êtes-vous membre d’un club de tir ? me répondit ce dernier d’un air suspicieux. La réponse était négative. Je n’étais ni membre d’un club de tir ni, bien entendu, chasseur à l’impressionnante virilité de tigre de papier, et puis quoi encore ! Alors le monsieur, l’air désolé, m’expliqua qu’il ne fallait pas rêver et que la France n’était, en ces affaires, pas aussi libérale ni visionnaire que les États-Unis, loin s’en fallait. Le fusil que je souhaitais acheter était de catégorie C. Je vous passe les distinctions juridiques qui nous entraîneraient trop loin, mais toujours est-il qu’une arme de catégorie C ne peut être acquise que par quelqu’un d’officiellement répertorié soit comme chasseur, soit comme membre d’un club de tir ou de ball-trap.
Je me suis donc inscrit sur-le-champ à la Fédération française de tir. Et le fort aimable vendeur de m’expliquer que cette dernière allait maintenant s’assurer que je ne possédais aucun casier judiciaire avant de m’envoyer ma carte de membre par courrier. Cette carte, il faudrait ensuite la faire signer par un médecin garantissant que ma santé tant physique que mentale ne s’opposait en rien à la pratique du tir sportif. Je pourrais alors – et seulement alors ! – revenir acheter mon fusil et en prendre pleinement possession…
Si l’on peut légitimement s’interroger sur le sérieux d’une signature par un médecin généraliste attestant de la soi-disant santé psychique d’un éventuel tireur – signature accompagnée d’un fort joli tampon dont strictement rien, de surcroît, ne garantit l’authenticité –, nulle raison cependant de s’inquiéter… Ma santé tant physique que (et surtout !) mentale étant de notoriété publique autant que professionnelle, d’une blancheur Persil et mon casier judiciaire d’une telle virginité que, pour le décrire, l’adjectif de « marial » se présente spontanément à l’esprit, tout se passa de la plus cordiale façon possible. Je suis donc aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, l’heureux propriétaire d’une Remington 700 de calibre .308, ainsi que de quelques munitions et d’une lunette Leupold Mark 4 de haute qualité. Tout est bien qui finit bien.
Tout finit bien, malgré cependant l’entêtée persistance de quelques interrogations… Ainsi, par exemple, comment justifier pouvoir acheter et posséder aussi facilement en France des armes d’une telle puissance ? Et pour s’entraîner où ? Trouver dans l’Hexagone un stand de tir à 200 mètres est déjà un exploit… Qui plus est, cette problématique se révèle parfaitement étrangère aux amateurs de ball-trap qui ne peuvent, eux, jamais utiliser autre chose dans la pratique de leur discipline qu’un fusil de chasse. Pourquoi donc et grâce à quelle étrange logique peuvent-ils avoir besoin d’une arme de précision ? Quant à la chasse, n’en parlons pas. Même en en acceptant le crapuleux principe, quel animal monstrueux existerait donc, en nos latitudes, pour ne pouvoir être abattu qu’avec un calibre potentiellement meurtrier à plus de deux kilomètres ? Il y a pire : les achats d’armes de catégorie C ne sont pas légalement plafonnés et l’on peut, à volonté, agrémenter ces fusils de silencieux fort utiles en bien des situations que je laisse à vos fébriles imaginations, lecteurs, le soin de se représenter. Néanmoins, il est vrai qu’il existe tout de même une limite juridique strictement infranchissable à ces affaires : c’est celle qui interdit la vente de plus de mille (mille !) cartouches par jour et par licencié. Que dire ? sinon… Welcome home, boys ! Welcome back to dear old fucking Arizona !
Mais pas d’alarmisme intempestif, la France, Dieu merci ! n’est pas l’Amérique. Et d’ailleurs, mis à part, çà et là, quelques kalachnikovs attendant le client, il n’existe chez nous qu’environ quatre dérisoires petits millions d’armes à feu légalement répertoriées…
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