Chaque fois qu’il pose son doigt sur la gâchette, s’apprêtant à tirer, Rémi* sent chacun de ses muscles se contracter et l’adrénaline habiter la moindre parcelle de sa chair. Concentré sur la cible, il ne prête plus attention au monde qui l’entoure. Trois, deux, un. Le tir délivre son corps de la tension accumulée. « C’est cette sensation de détente qui me plaît », explique ce Limougeaud de 42 ans, qui pratique le tir sportif depuis une dizaine d’années. « C’est relaxant, comme le yoga. »

Rémi est l’un des 221 000 licenciés que compte la Fédération française de tir. Fils de chasseur, il a toujours « baigné dans le milieu des armes ». Ancien compétiteur acharné, il les manie désormais pour son plaisir personnel, une fois par mois en moyenne, au stand de tir près de chez lui. Des armes, il en possède huit : « Des armes de poing, calibre 5,5 mm, air comprimé 9 mm, .38 spécial et .357 Magnum, mais aussi des armes d’épaule, un .22 long rifle. » Ce qu’il apprécie particulièrement, c’est de fabriquer pour chacune d’elles de parfaites munitions, à l’aide d’une presse, d’amorces, de poudre et d’ogives qu’il se procure en armurerie. De quoi effrayer les non-avertis. Bien conscient qu’il prend plaisir à manipuler des « objets létaux », il précise qu’il n’éprouve aucune adulation pour l’objet en tant qu’« arme de guerre ». « Mon arme, c’est comme une raquette pour un tennisman. C’est un outil pour faire du sport. » Jamais il n’a envisagé d’y avoir recours pour se protéger, lui ou sa famille, d’un quelconque agresseur. Conservées dans un coffre, démontées, à distance des munitions comme l’exige la loi, elles ne lui seraient d’aucune utilité, selon lui. « Le temps d’assembler l’arme et de la charger, il serait trop tard. » D’ailleurs, il doute de sa capacité à la maîtriser en situation de stress. « Quand on s’entraîne au stand, ça n’a rien à voir. On n’y va pas pour apprendre à se défendre. »

C’est justement ce que regrettent une minorité de licenciés, qui souhaiteraient obtenir l’autorisation de manier leurs armes en dehors du stand de tir. Réunis pour certains dans une association baptisée l’ARPAC, ils militent pour un port d’armes citoyen. « On a démarré sur Twitter, raconte Antony Crosignani, agent de maîtrise de 31 ans, et cofondateur de l’association. Après le carnage du Bataclan, on a été nombreux sur les réseaux sociaux à se dire que si des citoyens avaient été armés, le pire aurait pu être évité. » Tireur sportif de longue date, détenteur d’une quinzaine d’armes, il précise qu’il ne « cherche pas à fonder une milice, mais à accéder au droit de se protéger individuellement, « comme l’entendait Mirabeau en 1789 ». Ce dernier avait proposé que soit adopté, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, un article 10 garantissant à tout citoyen le droit de s’armer. Considérant ce droit comme allant de soi, les membres du comité n’avaient pas retenu cette proposition. 

Pour l’association, un port d’armes cachées aurait davantage pour but de dissuader les agresseurs que de les blesser, ou les tuer. « Un criminel ne s’attaque pas à un citoyen armé. Or, la mise en place d’un port d’armes cachées ne permet pas de savoir qui est armé et qui ne l’est pas. Toute la population est donc protégée. » Il insiste : « Savoir manier une arme, c’est aussi apprendre à quel moment ne pas tirer. D’où la nécessité de pouvoir accéder à des formations de légitime défense. »

Ce discours dérange la fédération. « On est tout à fait contre, et on l’a fait savoir », rappelle sèchement son président Philippe Crochard. Également directeur du centre de tir Les Pistoliers d’Auteuil, ce dernier a pris la décision de radier l’un de ses membres, Guillaume Lorans, militant à l’ARPAC. Pour le président, qui ne mâche pas ses mots, ils sont « des guignols qui s’agitent et se prennent pour Rambo ». Fondée par une dizaine d’amateurs d’armes, l’ARPAC compte aujourd’hui près de 43 000 sympathisants sur Facebook. 

Entre 2015 et 2016, la FFTir a connu une augmentation du nombre de ses licenciés de près de 11 %, la plus forte en dix ans. Face à cette montée en flèche des demandes, le club de Rémi, la Ligue de tir du Limousin, avait pris la décision de ne plus accepter aucune nouvelle inscription. Officiellement, pour une question de capacité. Mais sur les pas de tir, on raconte que les nouveaux venus n’avaient pas l’esprit sportif, et s’inscrivaient dans l’unique but de s’armer. En France, toute demande d’autorisation de détention d’arme passe par l’approbation de la fédération qui atteste que le demandeur pratique le tir sportif de manière régulière depuis six mois, voire une année.

Pour Éric Bondoux, rédacteur en chef de Cibles, un magazine spécialisé dans les armes à feu qui compte 30 000 lecteurs, « ceux qui pensaient pouvoir améliorer leurs moyens de défense en s’inscrivant à un stand de tir vont être très déçus. En France, le cadre est très strict ». Car détenir une arme est une chose, avoir l’autorisation de la porter en état de fonctionner et en dehors du club en est une autre. « Le port d’armes n’existe quasiment pas, explique-t-il. Il est accordé à certains fonctionnaires, au cas par cas ». En France, le port d’armes cachées, tel qu’il existe aux États-Unis, est encore loin d’avoir fait son chemin. 

 

* Le prénom a été changé.

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