« La législation n’a pas toujours été aussi stricte »
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Existe-t-il une culture française des armes à feu ?
Je parlerais d’un rapport passionnel et passionné aux armes. Beaucoup de Français se souviennent de leur première carabine à air comprimé, ou de leur première sortie de chasse, qui a longtemps constitué un rite initiatique d’entrée dans le monde adulte. Le service militaire, jusqu’en 1996, a aussi entraîné des générations d’hommes français à manier et utiliser des armes de guerre. Et encore aujourd’hui, la chasse ou les clubs de tir attirent des millions de nos compatriotes, sans oublier une large presse consacrée aux armes à feu : dans chaque kiosque à journaux, vous pouvez trouver un rayon entier de publications consacrées aux armes à feu, ce qui est tout à fait unique dans l’Union européenne. Il faut y voir les restes d’un lien historique très fort.
Comment la législation sur les armes à feu a-t-elle évolué ?
Elle n’a pas toujours été aussi stricte qu’aujourd’hui. Pour comprendre le rapport particulier des Français aux armes, il faut remonter à 1789 et à la Révolution française, qui démocratise l’accès aux armes en France. Celles-ci étaient jusque-là réservées à la noblesse. Avec la Révolution, chacun des citoyens acquiert le droit de détenir une arme, pour se défendre ou pour son loisir : la Déclaration des droits de l’homme inscrit un droit à résister à l’oppression, qui autorise implicitement le droit à une arme à feu. Un droit confirmé en 1792 par décret, qui précise que tous les citoyens peuvent être pourvus d’armes pour résister aux attaques des ennemis de la Nation. Et en 1797, on autorise chaque citoyen à détenir chez lui cinq kilos de poudre noire.
On n’est pas si loin du deuxième amendement de la Constitution américaine ?
C’est le même esprit qui dicte ces deux textes, puisque le deuxième amendement entre en vigueur aux États-Unis en 1791. On a du mal aujourd’hui à associer les Lumières et le droit au port d’armes, mais, dans le contexte du XVIIIe siècle, celui-ci constitue un principe d’égalité. Ce n’est que dans un second temps que les deux pays vont évoluer de façon très différente : aux États-Unis, ce droit va être préservé et renforcé au cours du XIXe siècle, jusqu’à devenir un élément culturel fondamental, alors qu’en France on va progressivement restreindre l’accès à l’arme à feu. Au XIXe siècle, vous pouvez encore facilement acquérir et porter une arme à feu dans notre pays – il y a même un marché florissant avec des pistolets pour dames ou des pistolets pour cyclistes, pour se défendre des chiens errants ! Ce n’est qu’en avril 1939, alors que la guerre se profile, que le gouvernement va limiter l’accès aux armes avec la première classification en huit catégories, pour distinguer armes de guerre et armes civiles. Et dès le 10 mai 1940, l’occupant allemand demande à l’ensemble de la population de livrer ses armes, quelles qu’elles soient. Beaucoup d’entre elles seront cachées. S’ouvre alors une époque nouvelle, en France, de clandestinité et de dissimulation des armes à feu.
Que vont devenir ces armes ?
C’est une grande question, souvent éludée par les historiens d’ailleurs. Pendant la guerre, des centaines de milliers d’armes sont parachutées en France à destination de la Résistance, et toutes ne seront pas rendues. On verra réapparaître, dans les années qui suivent, certaines de ces armes, dans des cadres de militantisme politique, de grand banditisme ou des faits divers – dans l’affaire Dominici, la famille anglaise est tuée par une carabine américaine USM1. Après la guerre, on conserve le dispositif législatif de 1939, et on va même le renforcer au fil des années. En 1974, on met ainsi en place un permis de chasse, alors qu’on ne devait jusque-là payer qu’une simple vignette. En 1995, on interdit aux armes semi-automatiques de dépasser les trois coups, ce qui va conduire de nombreux fabricants français de .22 long rifle à fermer boutique. Puis ce sont les fusils à pompe qui disparaissent du marché en 1998. Et on arrive finalement à la loi de 2013, avec une classification en quatre catégories, qui correspond à un cadre européen homogène et restrictif. Si bien que, aujourd’hui, de nombreux Français qui possèdent chez eux une simple carabine à plomb sont dans l’illégalité sans le savoir.
Comment expliquer la prégnance de la chasse dans la culture française ?
C’est une pratique inscrite dans notre histoire, un acquis de la Révolution, qui a poussé une grande partie de la population à chasser, beaucoup plus qu’en Angleterre ou en Allemagne, par exemple, où cette pratique est réservée à l’élite. Aujourd’hui encore, on compte plus d’un million de chasseurs en France, plus de 80 000 sociétés de chasse, qui alimentent un marché de près de deux milliards d’euros. Mais c’est une pratique qui a aussi beaucoup évolué. Dans les années 1960, le chasseur type était un rural qui chassait le lièvre avec son chien. Depuis les années 1990, il s’agit davantage d’urbains, issus de la classe moyenne supérieure, qui chassent le gros gibier à l’affût avec un fusil à lunette. C’est une activité de plus en plus chère, avec des fusils de plus en plus perfectionnés – le gouvernement s’en est d’ailleurs rendu compte, puisqu’il vient de diviser par deux le coût du permis de chasse.
Combien d’armes à feu sont en circulation sur le territoire français ?
4,5 millions d’armes à feu sont recensées dans le fichier Agrippa, ce qui n’est déjà pas rien. Mais le nombre réel est évidemment beaucoup plus élevé. Le syndicat des armuriers évoquait, il y a dix ans, le chiffre de dix millions. L’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève avance de son côté un chiffre compris entre quinze et vingt millions, la fourchette haute étant la plus probable. Cela correspond à presque une arme à feu pour trois habitants, ce qui classerait la France au septième rang des pays occidentaux les plus armés, et au second rang dans l’Union européenne, derrière la Finlande. Beaucoup de ces armes sont anciennes, mais si elles sont correctement entretenues, il est tout à fait possible qu’elles soient encore en état de fonctionner aujourd’hui.
Est-ce un chiffre inquiétant ?
Il est normal que ce chiffre inquiète une opinion toujours plus exigeante en matière de sécurité. Mais il est aussi à relativiser : le nombre d’armes à feu vendues en France diminue chaque année – environ 80 000 par an, essentiellement des armes de chasse –, et le nombre d’armuriers a été divisé par cinq depuis 1939. On est loin de l’image d’un pays surarmé.
Combien de personnes ont-elles été tuées par arme à feu en France ces dernières années ?
C’est un nombre en chute libre : en 1979, on comptait plus de 2 700 victimes d’armes à feu, contre 1 594 en 2014. Et la grande majorité d’entre elles sont les propriétaires de ces armes : on comptait, en cette même année 2014, seulement 89 homicides contre 1 102 suicides. Là encore, il faut donc relativiser les informations inquiétantes propagées dans les médias qui feraient craindre une épidémie d’homicides par arme à feu en France.
Quels effets ont eu les attentats que la France a connus depuis 2015 sur notre rapport aux armes ?
Dans les jours qui ont suivi le massacre du Bataclan, les armuriers parisiens ont reçu de nombreuses demandes et la fréquentation des clubs de tir a visiblement augmenté. Dans une certaine frange de la population, il y a ainsi une demande croissante d’accès aux armes, soutenue par des associations qui militent pour un changement du cadre législatif, pour renverser, selon eux, le rapport de force et instaurer un système de dissuasion. C’est un discours relayé notamment par certaines figures politiques, comme l’ancien député Les Républicains Alain Marsaud, autrefois juge antiterroriste, ainsi que par des mouvements politiques marqués à droite ou à l’extrême droite. Mais ce n’est pas pour autant un mouvement massif susceptible de conduire à une modification de notre système de valeurs. Le cadre légal va vers davantage de restrictions, et il semble que cette direction soit soutenue par la grande majorité de la population.
Propos recueillis par JULIEN BISSON
« La législation n’a pas toujours été aussi stricte »
François Audigier
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