Les premières journalistes françaises, au début des années 1830, n’étaient pas des bourgeoises ou des intellectuelles, mais des lingères, des couturières, des brodeuses… Des femmes de l’ombre. Elles appartenaient au saint-simonisme, pour lequel « la libération du prolétaire » devait « aller de pair avec celle de la moitié du genre humain ».

Le problème est que ce mouvement généreux et féministe avant l’heure a tourné à la secte quand son chef de file, Prosper Enfantin, a commencé à se poser en père de l’humanité. En attendant de rencontrer « la Mère » en Orient et de « fonder l’union des peuples », il a exclu les femmes de la hiérarchie saint-simonienne, tout en autorisant des « prêtres » – mâles, évidemment – à se « lier charnellement » à leurs subordonnées pour « libérer leurs sens »…

Jeanne-Désirée Véret, Marie-Reine Guindorf et quelques autres se révoltent : « L’homme n’a ni le droit de nous opprimer ni celui de nous affranchir. » Et ces jeunes ouvrières, qui se sont formées par la lecture, rassemblent leurs maigres économies pour créer en 1832 une revue, La Femme libre, qui proclame : « Plutôt le célibat que l’esclavage ! » Passant de l’aiguille à la plume, elles ne signent que par leur prénom. « Pourquoi la femme se retrancherait-elle derrière un nom qui n’est pas le sien ? »

L’aventure va durer deux ans, malgré des drames personnels et les quolibets de la grande presse. À ces pionnières privées de célébrité succéderont des bourgeoises cultivées, moins radicales, mais le journalisme féminin était né. 

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