Salomé réclama la tête de saint Jean-Baptiste. Et quand une femme tue un homme, on en parle pendant des siècles… Dans L’Épouse du monde, l’Écossaise Carol Ann Duffy fait entendre la voix de celles qu’on n’écoutait pas : Mme Sisyphe, Mme Freud, Mme Darwin. Un tourbillon caustique et sentimental pour compléter notre imaginaire. 

Je l’avais déjà fait
(et je le referai sans doute,
tôt ou tard)
me suis réveillée avec une tête sur l’oreiller d’à côté – celle de qui ? –
quelle importance ? 
Beau gosse, bien sûr, cheveux bruns, en broussaille ; 
barbe rouquine quelques nuances plus claire ; 
avec des rides très profondes autour des yeux,
de douleur, j’imagine, ou peut-être de rire ;
et une belle bouche écarlate qui savait à l’évidence
comment flatter…
que j’ai baisée…
Plus froide que la pierre.
Étrange. C’était quoi son nom ? Pierre ? 

Simon ? André ? Jean ? Je serais sûrement de meilleure humeur  
avec du thé, un toast grillé, pas de beurre, 
alors j’ai sonné la bonne. 
Et, de fait, son innocent labeur  
de tasses et d’assiettes, 
son accent gouailleur,
le bastringue balayé ailleurs, 
étaient pile ce dont j’avais besoin – 
avec ma gueule de bois, détruite que j’étais par une nuit dans le mixeur.

Plus jamais !
Je devais me reprendre en main, 
perdre du lard, 
supprimer la bibine et les clopes et le sexe.
Oui. Et pour le reste 
il était l’heure de virer le lascar, 
la brute ou le barbare,  
venu comme l’agneau à l’abattoir 
au lit de Salomé. 

Au miroir, j’ai vu dans mes yeux des paillettes. 
J’ai soulevé les draps poisseux et cramoisis
et là, comme j’ai dit, – chienne de vie ! – 
sur un plateau, il y avait sa tête.

Traduction inédite de Louis Chevaillier et Lola Gruber

Carol Ann Duffy, The World’s Wife, Picador, 1999 © Carol Ann Duffy, 1999

 

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