C’est l’histoire d’un « grand gâchis », selon certaines. D’une « trahison », préfèrent dire d’autres. Qu’importe le qualificatif, vingt ans après son apparition, Ni putes ni soumises suscite encore une grande rancœur dans les quartiers populaires. L’association, dont l’objectif était pourtant de libérer la parole des femmes des cités et d’améliorer leurs conditions de vie, a eu pour effet de briser la confiance naissante et fragile que les habitants des quartiers populaires pouvaient placer dans le mouvement féministe.

Dans un café de Saint-Denis, où elle vit avec sa compagne et leur fillette, Hanane Ameqrane, militante franco-marocaine de 40 ans, remonte le fil de l’histoire. Elle commence en 2002 avec la mort de Sohane Benziane, une adolescente de 17 ans immolée par son ex-compagnon dans une cité de Vitry-sur-Seine. À l’époque, ce féminicide bouleverse au-delà des frontières du Val-de-Marne. Dans les cités, des femmes, fatiguées de leurs conditions d’existence et lassées des conséquences dramatiques du patriarcat sur leur vie, prennent la parole et s’organisent. « Leur démarche était sincère et nécessaire », soutient Hanane. Parmi elles, Fadela Amara. Cette militante féministe de 38 ans liée à SOS Racisme réunit une poignée de consœurs pour lancer, à travers la France, des « marches des femmes des quartiers pour l’égalité et contre les ghettos ». L’appel à défiler est un succès. Un an plus tard, le mouvement s’officialise et l’association Ni putes ni soumises voit le jour. 

Rapidement, pourtant, cette dernière fait l’objet de vives critiques. La cause que défend l’association est noble mais les méthodes contre-productives, critiquent ses détracteurs. On lui reproche d’édulcorer la lutte pour mieux coller au féminisme étatique et de faire preuve de « fémonationalisme », concept forgé par la sociologue britannique Sara Farris, qui décrit le fait d’instrumentaliser la cause des femmes à des fins racistes et coloniales. Au nom de la laïcité, l’association fait fi des spécificités de ces populations marquées par une histoire particulière, celle du colonialisme. Les critiques se font plus vives encore en 2007, lorsque Fadela Amara rejoint le gouvernement de François Fillon en tant que secrétaire d’État chargée de la politique de la ville.

« Ni putes ni soumises a contribué à stigmatiser encore un peu plus les hommes issus de l’immigration, comme s’ils étaient les seuls au sein de la société à faire preuve de violence »

Dans les cités, l’effet est à l’opposé de l’objectif. « Ni putes ni soumises a contribué à stigmatiser encore un peu plus les hommes issus de l’immigration, comme s’ils étaient les seuls au sein de la société à faire preuve de violence, estime Hanane Ameqrane. Au lieu de libérer la parole des femmes, ça nous a fait taire encore plus. On ne voulait pas que ça retombe une fois de plus sur nos frères, nos darons, nos cousins. » Le travail entamé par des organisations féministes qui œuvraient depuis les années 1980, telles que Zâama d’banlieue, à Lyon, ou Voix d’elles rebelles, à Saint-Denis, est soudainement réduit à néant : le féminisme est devenu un outil de femmes blanches des beaux quartiers et n’est plus le bienvenu dans les banlieues populaires. 

 

L’ambition d’une révolution 

En 2004, le retour du débat sur le port du voile est l’occasion de repenser le féminisme dans les quartiers populaires. L’intersectionnalité fait son entrée sur le devant de la scène féministe. Hérité des militantes afro-amér

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