Sur la foi des sondages, ­Marine Le Pen se voit déjà en tête au premier tour du prochain scrutin présidentiel et capable de battre la gauche au second. Conclure pour autant comme elle l’a fait à l’université d’été du FN qu’il n’y a « plus de plafond de verre qui empêcherait notre victoire électorale » serait prématuré.

Le clivage gauche-droite est une première barrière. Serait-il, à en croire Nicolas Sarkozy « élimé comme un vieux tapis qui aurait trois siècles », il fait toujours usage, la quasi-totalité des électeurs s’y reconnaissent. Ceux qui ont voté pour Marine Le Pen en 2012 se classent à droite sur l’échelle gauche-droite dans la proportion de neuf sur dix. C’est dans la même proportion qu’ils la classent, elle, à droite, dont 48 % à l’extrême droite. Inversement la probabilité d’avoir voté Marine Le Pen en 2012 passe de 5 % à l’extrême gauche à 19 % au centre et 57 % à l’extrême droite. Et ce positionnement n’est pas arbitraire, il renvoie à des valeurs. À droite prévaut une vision ethnocentriste et autoritaire de la société, poussée à l’extrême par les électeurs du FN : 92 % de ces derniers jugent le nombre d’immigrés excessifs contre 78 % des électeurs de droite et 42 % des électeurs de gauche, 78 % veulent supprimer les allocations familiales aux familles de mineurs délinquants, (contre 54 et 24 %), 70 % sont favorables au rétablissement de la peine de mort (contre 27 et 15 %). La candidate du FN n’a pas fait sauter la frontière gauche-droite, elle ne prospère vraiment qu’à droite. 

La seconde barrière est celle du diplôme. Malgré ses efforts pour rallier des enseignants, des étudiants, des intellectuels, Marine Le Pen, comme son père, fait ses meilleurs scores chez les moins instruits. Le taux de votes en sa faveur double quand on passe des bacheliers aux non-­bacheliers (de 13 à 25 %). Et elle atteint un niveau record de 38 % chez les jeunes qui se sont arrêtés juste avant le bac avec un CAP ou un brevet professionnel. Dans une société postindustrielle où l’éducation a de plus en plus d’importance, échouer à cet examen ou être orienté au préalable vers des filières courtes vous condamne aux petits boulots ou au chômage, ce qui nourrit le ressentiment anti-immigrés. Alors que le soutien aux partis installés de droite et de gauche augmente avec le niveau de diplôme, les votes pour Marine Le Pen diminuent, tombant quasiment à zéro dans le supérieur. 

La troisième barrière, liée aux précédentes, est celle du milieu socioprofessionnel. Depuis sa percée en 1984, le FN a diversifié sa base électorale, conquérant tour à tour les voix des petits patrons, des ouvriers, des agriculteurs et des ruraux. Mais les catégories aisées et cultivées ou fortement ancrées à gauche continuent à lui résister. Malgré sa stratégie de dédiabolisation, Marine Le Pen ne parvient pas à percer chez les cadres du public et les professions intellectuelles et artistiques, à peine plus chez les cadres d’entreprise et les professions intermédiaires de l’enseignement, de la santé, de la fonction publique (respectivement 5 et 8 % en 2012). Et si elle dit parler au nom de la France des oubliés, des invisibles, à l’autre bout de l’échelle sociale, les plus défavorisés, comme le montre mon enquête avec Céline Braconnier, lui résistent aussi. Certes elle fait ses meilleurs scores dans les milieux populaires, frôlant 30 % chez les ouvriers (50 % chez les ouvriers de droite), mais justement pas chez les plus précaires. Repérés par un indicateur combinant difficultés économiques, non-accès aux soins, isolement social, ce sont les ouvriers non précaires qui lui ont donné le plus de voix (35 % contre 22 % chez les précaires). Les ouvriers précaires eux se distinguent par un taux d’abstention record, qui frôle les 30 % au second tour, et un soutien marqué au candidat socialiste qui recueille au second tour 67 % de leurs suffrages (48 % chez les non-précaires). 

Le dernier obstacle tient aux femmes, jusqu’ici plus réticentes que les hommes à soutenir les candidats et les idées d’un FN associé à la violence et à l’extrémisme. L’arrivée d’une femme à la tête du parti, l’image plus lisse qu’elle cherche à donner ont contribué à rétrécir cet écart. En 2012, deux points seulement séparent la proportion d’électrices et d’électeurs qui ont voté pour Marine Le Pen. Et si l’on isole l’effet du sexe de ceux de l’âge, du diplôme, de l’orientation politique et de la pratique religieuse, pour la première fois il n’y a plus aucune différence entre ses scores chez les hommes et les femmes. La candidate du FN fait une percée spectaculaire (37 %) auprès des employées de commerce, en majorité des femmes, jusqu’ici plus fidèles à la droite traditionnelle ou abstentionnistes. Dans la tranche d’âge des 18-24 ans, dans celle des bas revenus, chez les actifs en CDD et ceux qui n’ont pas dépassé le niveau du certificat d’études primaires, Marine Le Pen obtient même plus de voix chez les femmes que chez les hommes. Le phénomène traduit l’exaspération d’un prolétariat féminin, peu qualifié, sous-payé, mal protégé. Il est trop tôt pour dire s’il va durer. Mais là, effectivement, le « plafond de verre » a commencé à s’estomper. 

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