États-Unis

Un pic historique entre 1990 et 2010

Aujourd’hui, 27 États américains sur 50 appliquent la peine de mort (six d’entre eux l’accompagnant d’un moratoire annulant de facto sa mise en œuvre) ; 23 États l’ont abolie par voie législative, comme le Colorado, le Connecticut et d’autres, ou par référendum, à l’instar du Wisconsin. En 1987, un professeur de droit de l’université de l’Iowa, David Christopher Baldus, avait publié une étude montrant qu’un Noir tuant un Blanc avait dix fois plus de risques d’être condamné à mort qu’un Blanc ayant tué un Noir. La situation s’est améliorée depuis, mais cette inégalité persiste.

Sur les trente dernières années, le nombre des exécutions s’est élevé à une cinquantaine par an – un État, le Texas, en a fourni la moitié depuis le début de ce siècle. Mais ce chiffre baisse régulièrement depuis 2015 : de 85 mises à mort en 2000, on est progressivement tombé à 17 en 2020. Il en va de même du nombre de condamnés attendant leur exécution. Celui-ci a connu un pic historique entre 1990 et 2010. En 2000, 3 593 condamnés peuplaient les « couloirs de la mort ». Leur nombre, lui aussi, est en recul régulier. On n’en compte actuellement plus que 2 450. Pour ceux-là, entre le verdict ultime de la procédure judiciaire et l’exécution, il se passe en moyenne quatorze ans.

Contrairement à une idée reçue, la Cour suprême des États-Unis n’avait pas aboli la peine de mort en 1967. En réalité, après avoir instauré un moratoire de cinq ans, elle avait renoncé en 1972 à l’application de cette peine, considérant la manière d’administrer la mort aux condamnés « cruelle et inhabituelle », donc inconstitutionnelle. La nuance est de taille dans un pays où le juridisme prédomine. De fait, la peine de mort n’y a jamais été abolie dans son principe à l’échelon fédéral. Après la décision de la Cour en 1967, nombre d’États l’avaient maintenue dans leur Constitution (chaque État a aussi une constitution propre), tout en annulant sa mise en œuvre. Mais en 1976, la Floride, la Géorgie et le Texas obtinrent que la Cour suprême valide que les circonstances aggravantes d’un crime capital rendent l’application de la peine de mort admissible. Les exécutions (par pendaison, électrocution, chambre à gaz ou injection létale) pouvaient reprendre. 

Sylvain Cypel

 

Chili

Une renonciation définitive

Il aura fallu une décennie de débat pour qu’enfin décision soit prise. Le 28 mai 2001, le président socialiste Ricardo Lagos signait un décret de loi abolissant la peine de mort pour les crimes de droit commun au Chili, faisant entrer son pays dans le club déjà bien élargi des États abolitionnistes. Sa motivation : donner la priorité à la protection de la vie humaine.

Depuis la chute du régime d’Augusto Pinochet, en 1990, et le retour à la démocratie, aucune exécution n’avait eu lieu dans cet étroit pays d’Amérique du Sud, la présidence de la République ayant systématiquement opté pour la commutation en réclusion à perpétuité, avec possibilité de libération conditionnelle après vingt ou quarante ans de réclusion effective, selon les cas. La dernière exécution légale remontait à 1985. Les « psychopathes de Viña del Mar », deux policiers tueurs en série n’avaient su obtenir à l’époque la grâce du dictateur. Au coucher du soleil, un soir de janvier, ils furent placés devant seize gardiens armés de pistolets-mitrailleurs Uzi, ligotés sur des chaises, une cible rouge au niveau de leur cœur.

En signant la convention américaine relative aux droits de l’homme, aussi connue sous le nom de pacte de San José, le Chili s’est engagé à ne jamais rétablir la peine de mort à l’intérieur de ses frontières. Cet engagement fort n’a pourtant pas empêché le peuple chilien de manifester pour son rétablissement à l’occasion d’affaires éprouvantes, comme celle de la mort de la petite Sophia, tuée par son père en 2019, dans des conditions particulièrement atroces.

Un pas restait encore à franchir pour le Chili. Jusqu’à présent, dans son code de justice militaire, le pays s’octroyait toujours le droit de recourir à la peine de mort en temps de guerre pour divers motifs, à savoir trahison à la patrie, rébellion, conspiration et désertion. Voici chose faite : quasiment un siècle et demi après son instauration, le Chili vient de renoncer définitivement, ce mois de novembre, à la peine de mort en toutes circonstances. 

MANON PAULIC

 

Egypte

Un gibet très politique

Loin d’être en recul, la peine capitale a sensiblement augmenté en Égypte ces dernières années. On ne dispose d’aucune statistique officielle, mais des associations et des centres de recherche font état de chiffres inquiétants. Entre le 25 janvier 2011, jour où débute le soulèvement contre Hosni Moubarak, et le 31 décembre 2020, les tribunaux ont condamné à mort 1 670 personnes, dont 226 auraient été exécutées.

La peine capitale (par pendaison) peut être appliquée en cas de meurtre avec préméditation, viol, trafic de drogue, détournement d’avion, espionnage, atteinte à la sûreté de l’État ou terrorisme. Ce dernier chef d’accusation est susceptible de menacer beaucoup de monde : notamment la confrérie des Frères musulmans, décrétée « terroriste » en 2014. Et il arrive que des civils soient jugés par des tribunaux militaires.

Une condamnation à mort est qualifiée de provisoire tant qu’elle n’a pas été soumise au mufti de la République, la plus haute instance musulmane du pays. L’avis, purement consultatif, de ce religieux n’est pas rendu public. Si les juges confirment ensuite leur sentence, un condamné peut faire appel devant la Cour de cassation. En cas de rejet, le chef de l’État dispose de quatorze jours pour examiner le dossier. Depuis son accession à la présidence en 2014, le maréchal Al-Sissi n’a, semble-t-il, jamais gracié un condamné à mort ou commué sa peine.

Aux arrestations arbitraires, aux conditions déplorables de détention et aux aveux extorqués sous la torture, s’ajoutent des procès collectifs, vite expédiés, qui sont des parodies de justice. Le zèle antiterroriste de certains magistrats a atteint un sommet en avril 2014 lorsque le tribunal d’Al-Minya, en Moyenne-Égypte, a condamné à mort… 683 partisans des Frères musulmans, en l’absence de la majorité des accusés. Cette farce tragique n’a guère servi l’image du pays à l’étranger. Globalement, les deux tiers des condamnations à mort prononcées ces dernières années concernent des activités politiques.

La peine capitale n’est pourtant pas un sujet qui mobilise les Égyptiens. En 2007, le Conseil national des droits de l’homme avait tenté, sans succès, de lancer le débat. Ironie de l’histoire : les Frères musulmans s’étaient alors opposés à l’abolition, sans se douter qu’ils seraient, quelques années plus tard, les premières victimes du gibet. 

 

Robert Solé

 

Chine

Une opacité de masse

L’application de la peine de mort en République populaire de Chine est nimbée de mystère. Pour des raisons de secret d’État, aucune donnée officielle complète n’est mise à disposition par les autorités chinoises. Malgré cela, les rapports et les enquêtes indépendants sont unanimes et univoques : à elle seule, la Chine exécute davantage chaque année que tous les autres pays du monde réunis. Pour Amnesty International, la justice chinoise donne la mort à au moins 1 000 personnes par an, chiffre probablement sous-estimé. Du côté de la Fondation Dui Hua, principale ONG pour la promotion des droits de l’homme en Chine, dont le siège est à San Francisco, c’est approximativement 2 000 Chinois qui sont passés par les armes chaque année depuis cinq ans. Il y a vingt ans, ce chiffre était six fois plus élevé.

Désireuse d’adoucir son image ces dernières années, la Chine a introduit quelques mesures pour réduire progressivement la cadence des exécutions. En 2007, la Cour populaire suprême a enfin été autorisée à examiner les condamnations à mort prononcées par les divers tribunaux du pays. En 2011 et 2015, le Code pénal a été amendé afin de limiter le nombre d’infractions passibles de la peine capitale, notamment les délits non violents comme la contrefaçon. En conséquence, parmi les 46 infractions toujours susceptibles de provoquer un tel jugement, meurtres et trafics de drogue sont ciblés en priorité par les magistrats.

En dépit de ces progrès, la Chine reste implacable dans son application de la peine de mort, soutenue très largement par la population. Les sondages de l’Académie chinoise des sciences sociales – institution sous la coupe du Parti – soulignent néanmoins une érosion de ce soutien, estimé à 95 % en 1995 et à 68 % en 2008.

Au-delà des centaines de condamnations à mort prononcées chaque mois, le système judiciaire chinois s’illustre par son cynisme : les corps encore chauds des condamnés sont remis aux chirurgiens chargés de prélever les organes pour alimenter un vaste système de greffe à la demande. Cette pratique, reconnue par un média étatique en 2009, représentait alors 65 % des 10 000 greffes annuelles réalisées en Chine. Arme politique au service du régime, la peine de mort suivie de la collecte d’organes a d’abord été utilisée dans les années 2000 contre les membres du Falun Gong, communauté religieuse dont l’essor a inquiété le pouvoir, avant d’être appliquée aux condamnés ouïghours depuis 2017. 

FLORIAN MATTERN

 

Japon

Des condamnés maltraités

Le Japon exécute peu et sans publicité. Une seule exception : la pendaison, en 2018, de treize membres de la secte Aum Shinrikyō, responsable de l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo. En temps normal, le nombre d’exécutions est bien moindre : trois en 2019 et 2021 et une en 2022 pour un total de 98 depuis le début du siècle. La peine de mort est presque toujours prononcée pour sanctionner des meurtres particulièrement violents. La loi prévoit une application de la sanction dans un délai de six mois après la condamnation. On constate cependant que des dizaines de condamnés à mort vivent longtemps dans l’incertitude et l’angoisse. L’enfermement dans les couloirs de la mort peut durer plusieurs décennies. C’est le cas du boxeur Iwao Hakamada, âgé de 86 ans, condamné en 1968 pour un quadruple homicide. Il a été libéré en 2018, après un demi-siècle de combat juridique pour prouver son innocence, mais la Cour suprême a cassé cette décision il y a deux ans, ouvrant la porte à une nouvelle réincarcération.

Avec les États-Unis, ce pays est le seul parmi les démocraties libérales à appliquer la peine de mort. Il ne s’illustre pas tant par le nombre d’exécutions que par la manière dont le système judiciaire maltraite ses criminels. Le quotidien d’un condamné à mort est un calvaire : enfermé dans une cellule de six mètres carrés éclairée jour et nuit pour éviter les suicides, celui-ci n’apprend la date de son exécution que le matin même. Sa famille est prévenue une fois le corps à la morgue.

Malgré la folie fréquemment provoquée chez les condamnés par les conditions de détention, l’opinion publique plébiscite chaque année à 80 % le maintien de cette sentence. Le rituel est immuable : mains dans le dos, poignets menottés et bandeau sur les yeux, le condamné à mort s’avance vers celui qui lui passera la corde au cou. Une fois sur la trappe qui doit céder, trois gardiens appuient simultanément sur trois boutons dont un seul déclenche l’ouverture du plancher. 

F.M.

 

Iran

Un record d’exécutions

Thème récurrent du cinéma iranien, comme en attestent La Loi de Téhéran de Saeed Roustaee ou encore Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi, la peine de mort occupe une place majeure dans le système judiciaire de la République islamique. Si le cinéma national s’empare aussi souvent de cette question, c’est bien parce que l’Iran est l’État qui, proportionnellement à sa taille, exécute le plus au monde. Meurtre, possession et trafic de stupéfiants ou simple consommation d’alcool, la peine capitale y est appliquée de façon implacable. Mais alors que le nombre d’exécutions était en baisse depuis quelques années (743 en 2014 pour 246 en 2020), la tendance semble s’être inversée ces derniers mois avec 314 cas recensés en 2021. Sans statistiques officielles communiquées par Téhéran, les ONG internationales estiment que ces chiffres ne sont pas représentatifs.

Dans le cas d’un meurtre, la loi iranienne applique un principe de réparation (qisas) qui donne à la famille de la victime un choix : demander la peine de mort ou pardonner le criminel en échange d’une compensation financière, le « prix du sang » (diya). On observe que si les meurtres (51 %) et la drogue (42 %) représentent la majorité des condamnations en 2021, la peine de mort constitue également une arme pour mater les minorités ethniques d’Iran. Baloutches, Kurdes et Arabes ahwazis sont les cibles principales de cette répression, souvent dissimulée astucieusement sous des accusations d’« inimitié à l’égard de Dieu ». Entre 2010 et 2020, 129 personnes issues de ces minorités ont été exécutées pour ce motif.

Enfin, l’Iran s’illustre par une utilisation presque systématique de la torture pour obtenir des aveux avant des procès iniques et par sa condamnation régulière de mineurs. En dépit du droit international, la justice iranienne a, depuis 2010, condamné et exécuté plus de 60 personnes qui étaient mineures au moment de l’infraction. 

F.M.

 

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