Quel est le bilan aujourd’hui du combat pour l’abolition en Afrique ?

En 1999, lorsque nous avons lancé ce combat, seulement 10 pays africains avaient aboli la peine de mort. Aujourd’hui, sur les 54 pays que compte le continent, 23 sont abolitionnistes, 22 observent un moratoire sur son application et 9 continuent de l’appliquer. Ces chiffres témoignent d’une tendance globale vers l’abolition totale de cette peine en Afrique.

Quels sont les premiers pays africains à avoir opté pour l’abolition ?

Sans avoir d’explication scientifique, on a pu constater que les pays lusophones ont été les premiers à emprunter le chemin de l’abolition. De 1981 à 1993, le Cap-Vert, le Mozambique, São Tomé et Príncipe, l’Angola et la Guinée-Bissau – tous d’anciennes colonies portugaises – entérinent cette décision. Ensuite, les pays francophones d’Afrique subsaharienne leur emboîtent le pas, de la Côte d’Ivoire en 2000 au Tchad en 2020, en passant par le Sénégal, le Rwanda, le Burundi, le Togo, le Gabon, le Bénin, le Congo-Brazzaville, Madagascar, la Guinée et le Burkina Faso. Ce sont plutôt les pays anglophones et arabophones du continent qui maintiennent la peine capitale. En effet, les pays qui exécutent encore en Afrique ne sont autres que l’Égypte, la Libye, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Éthiopie, la Somalie, l’Ouganda, le Botswana et le Nigeria.

Les législations africaines sur la peine de mort sont-elles un héritage colonial ?

La colonisation a eu un impact indéniable sur le rapport à la peine de mort en Afrique. Même si cette sanction existait avant l’arrivée des puissances européennes, son application variait grandement selon les territoires et les autorités locales. Par ailleurs, la sentence pouvait être commuée en exil lorsque le condamné occupait une position importante dans la société. Ce sont les pouvoirs coloniaux qui décident alors d’uniformiser la législation et de l’appliquer sévèrement. Et, après l’indépendance, très peu de pays ont aboli les textes pénaux imposés par le colonisateur. Par exemple, aux dispositions relatives à la peine de mort du code pénal belge dont a hérité la République démocratique du Congo (RDC) n’a été ajouté que le crime de haute trahison.

Pour quels crimes la peine de mort est-elle appliquée dans ces pays ?

Hormis le terrorisme et l’atteinte à la sûreté de l’État, qui sont systématiquement punis par la peine capitale, chaque pays sanctionne des crimes différents. Pour les pays islamiques comme l’Égypte, le Soudan ou la Somalie, le sacrilège et l’adultère sont des infractions punies de la peine capitale. L’Ouganda, très majoritairement chrétien, sanctionne quant à lui durement l’homosexualité.

Quel rôle les différentes religions jouent-elles face à la question de la peine de mort ?

Que ce soit le christianisme ou l’islam, les diverses religions actives sur le continent africain ont joué un rôle important dans l’évolution du regard porté sur cette sanction pénale. Dans le cas du catholicisme et du protestantisme, les communautés religieuses n’étaient initialement pas opposées à la peine de mort. Au contraire, à l’époque coloniale, les prêtres cautionnaient souvent la pratique judiciaire en administrant l’extrême-onction aux condamnés s’apprêtant à monter sur l’échafaud. Mais le Vatican a depuis fait évoluer sa position sur le sujet, et les prêtres n’interviennent aujourd’hui plus dans le processus.

En revanche, en ce qui concerne les anciennes colonies britanniques qui exécutent encore régulièrement, comme le Nigeria ou l’Ouganda, l’influence de l’Église anglicane est difficile à établir, et il est probable que les pasteurs évangéliques américains, qui y sont très présents, jouent un rôle important dans le soutien à la peine de mort. En effet, les communautés évangéliques en Afrique tiennent un discours particulier en ne tranchant pas véritablement la question, et préfèrent s’appuyer sur les textes bibliques dans lesquels le Christ affirme que « Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée ». En Ouganda, si l’homosexualité est passible de la peine de mort sans que la sentence soit exécutée, cela tient au fait que le gouvernement cherche à contenter anglicans et évangéliques, deux communautés importantes dans le pays. Si les premiers sont peu favorables à l’application de cette peine, les seconds en sont de chauds partisans et la défendent parfois de façon virulente.

Du côté des pays de confession musulmane, la peine de mort, prévue dans la charia, a une connotation sacrée et est appliquée de façon intransigeante, ce qui explique le peu d’États l’ayant abolie à ce jour. Le cas du Sénégal, premier pays musulman d’Afrique à avoir renoncé à la peine de mort en 2004, permet cependant de relativiser cette corrélation entre islam et peine de mort. Ce pays abrite toutefois d’importantes communautés soufies qui ne portent pas le même regard que d’autres musulmans.

Quel est le rôle des obédiences maçonniques ?

Bien installées en Afrique subsaharienne, particulièrement au Congo-Brazzaville, en Côte d’Ivoire et au Tchad, les loges maçonniques ont joué un rôle indéniable dans le combat pour l’abolition de la peine de mort, mais il est difficile à mesurer avec précision. Sans en avoir la preuve, de nombreuses personnes ont émis l’idée que l’ancien président tchadien Idriss Déby était lui-même un franc-maçon.

Quel est l’impact du militantisme des associations contre la peine de mort ?

Au-delà des influences religieuses, c’est surtout le poids de la société civile et la force de sa mobilisation qui ont permis cette évolution fulgurante depuis la fin des années 1990. Contre l’opinion publique et le discours officiel qui faisaient passer les militants contre la peine de mort pour des alliés des criminels, les associations ont lutté pour arracher la société à sa torpeur. En prenant la parole, les acteurs associatifs ont pu attirer l’attention des politiques et briser le tabou autour de la question. En plus de ce travail, le relais donné à cette question par les associations étrangères et les instances onusiennes a fait de l’abolition de la peine de mort un sujet audible dans la plupart des pays. Aujourd’hui en RDC, malgré le contexte de guerre à l’est du pays qui rend la discussion plus difficile, il est tout de même possible de s’exprimer sans craindre pour sa vie.

Y a-t-il un retour en arrière de certains pays africains ?

Malgré une tendance abolitionniste globale ces trente dernières années, des pays comme l’Ouganda maintiennent une position très dure sur la peine de mort, que le pouvoir cherche à renforcer, particulièrement pour punir l’homosexualité, mais aussi pour inclure la sorcellerie. De même, alors que la peine de mort y a été abolie en 2009, le Burundi envoie des signaux inquiétants depuis 2016. En Afrique du Sud, où la peine de mort n’a été abolie que par une décision de justice, la situation reste assez fragile, car la question réapparaît régulièrement dans le débat lorsque des crimes atroces défraient la chronique.

Quels sont les derniers États africains à avoir aboli cette peine ?

Les derniers pays africains à avoir aboli la peine de mort sont la Sierra Leone en juillet 2021, la Centrafrique en mai 2022 et la Guinée équatoriale en septembre dernier. Dans les deux premiers cas, la société civile lutte depuis plus d’une décennie pour obtenir gain de cause. En Centrafrique, ECPM s’est associé à l’American Bar Association (Association américaine des membres du barreau), engagée pour l’abolition de la peine de mort aux États-Unis, mais aussi avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Dans l’ensemble, si ces résultats sont d’abord le fruit du travail associatif, ils témoignent aussi d’une véritable volonté politique.

Quel est l’agenda des pays africains par rapport à cette question ?

Il est raisonnable de penser que la Zambie et la Tanzanie, qui observent actuellement le moratoire, seront les prochains pays à franchir le pas de l’abolition. D’un côté, le président zambien Hakainde Hichilema en a fait une promesse de campagne avant son élection en 2021. De l’autre, la nouvelle présidente Samia Suluhu s’est dite ouverte à la discussion, contrairement à son prédécesseur qui ne voulait pas en entendre parler. Malgré cela, la question de la peine de mort n’est pas une priorité politique et reste un sujet de seconde zone dans la plupart des cas.

Si l’on considère le mouvement pour l’abolition à l’échelle du continent, on constate que celui-ci avance et piétine en même temps. En effet, si la CADHP a sensiblement progressé au point d’adopter une charte africaine contre la peine de mort en 2017, celle-ci n’a toujours pas été approuvée par la Conférence de l’Union africaine (UA) qui réunit tous les chefs d’État du continent.

Quels sont les obstacles à une extension de l’abolition de la peine de mort en Afrique aujourd’hui ?

Les obstacles sont multiples. On peut noter la volonté de certains présidents de ne pas froisser leurs soutiens politiques musulmans, l’utilisation continue de cette peine comme arme politique contre l’opposition, mais aussi la difficulté d’évoquer cette abolition en contexte de guerre ou la croyance encore tenace que cette sanction est une disposition efficace dans la lutte contre le terrorisme. Malgré cela, nous ne sommes plus très loin d’une Afrique sans peine de mort au XXIe siècle. Puisque de nombreux États abolitionnistes, de fait, vont dans le bon sens, il est possible d’imaginer atteindre quarante pays abolitionnistes de droit en 2025, et une Afrique complètement débarrassée de la peine de mort en 2035.

 

Propos recueillis par FLORIAN MATTERN

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