Le plus grand poème chrétien de la langue française est l’œuvre d’un mauvais garçon. D’un assassin même, d’un voleur, condamné à mort après une rixe. C’est en prison que François Villon écrit cette ballade avant que sa peine soit commuée en bannissement. Il décrit les corps humiliés des pendus pour inciter les lecteurs à avoir de la compassion pour leurs âmes. 

Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie. 
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice… Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

La pluie nous a débués et lavés
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis :
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir, sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Gardez qu’enfer n’ait de nous seigneurie :
À lui n’avons que faire ni que soudre !
Hommes, ici n’a point de moquerie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

(Orthographe modernisée.)

 

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