ENTRE deux réflexions sur l’air du temps, Edgar Morin, très actif sur Twitter, y glisse volontiers un clin d’œil. « Évitez d’être centenaire, écrivait-il le 18 juin dernier. Passez directement à 101 ans. » Pour enjamber un tel anniversaire, lui a fait remarquer en souriant l’un des nombreux abonnés à son compte, il faut jouer à la marelle…

En réalité, mieux vaut passer tout de suite à 110 ans et devenir, selon le langage des démographes, un supercentenaire. Car ces statisticiens des populations n’ont rien trouvé de plus poétique, pour désigner une personne âgée de 105 à 109 ans, que le terme de « semi-supercentenaire ». Imaginez un peu le sentiment des 638 Français et 2 060 Françaises que l’Insee recensait dans cette catégorie en 2020 : n’être qu’à moitié super, alors qu’on a dépassé le siècle, vaincu les maladies, bravé les atteintes du temps, a quelque chose d’injuste, et même d’humiliant.

Pour célébrer les anniversaires de mariage, la culture populaire avait trouvé des étiquettes bien mieux réussies. Chaque année était associée à une matière, un arbre, une fleur ou un métal. Du coton (un an) au chêne (80 ans), en passant par l’or (50 ans) et le diamant (60 ans). Quant aux 100 ans d’une vie commune – ce qui était tout de même assez rare –, ils étaient associés à l’eau.

Dans un tweet du 8 mai, Edgar Morin lançait : « Bien sûr, je préférerais passer l’été que le Léthé. » Ses lecteurs se sont précipités sur le dictionnaire pour découvrir qu’il s’agissait, dans la mythologie, du fleuve des enfers où les ombres des morts allaient boire pour oublier le passé. « Boire de l’eau du Léthé », c’était perdre la mémoire. S’il y en a un qui ne l’a pas perdue, c’est bien notre futur supercentenaire. 

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