Passionné et engagé, Edgar Morin le demeure. Désormais centenaire, il vibre encore pour nous alerter sur les dangers encourus par la biosphère, pour critiquer l’avidité d’un capitalisme mondialisé obsédé par le profit, pour prévenir la propagation d’un nouveau totalitarisme de surveillance. Il reste ce militant qui, tout jeune lycéen, se mobilisait en faveur des républicains espagnols, ou cet étudiant qui basculait dans la clandestinité dans une France occupée par l’Allemagne nazie. Cela pose un cadre. Quand d’autres de sa génération intégraient de prestigieuses grandes écoles, lui prenait le risque de la Résistance. Toulouse-Lyon-Toulouse. Puis la capitale où il se retrouve membre du triumvirat de commandement de son réseau en Île-de-France et à Paris. D’avoir frôlé la mort, d’avoir échappé à la torture, ne laisse pas indemne. Edgar Morin fait partie de ceux qui eurent du mal à se réadapter à la vie civile et ordinaire.

Ce franc-tireur n’avait aucune des « qualités » pour entrer dans le moule académique. Impatient, curieux impénitent, philosophe et sociologue, historien et anthropologue, bref, « polydisciplinaire et indiscipliné » selon sa formule, il était trop. Il fut tenu durant des décennies pour quantité négligeable par les milieux universitaires, méprisé et proscrit par le grand prêtre de la sociologie Pierre Bourdieu (1930-2002) et ses disciples. Sa bienveillance agaçait, sa tolérance irritait, sa capacité à jeter des passerelles entre les différentes disciplines du savoir exaspérait. Il prit alors régulièrement le chemin des Amériques où on l’accueillait comme un maître. Jamais en repos, toujours soucieux d’apprendre, il étudia les mathématiques et la biologie (avec le Prix Nobel Jacques Monod, entre autres). C’est alors qu’il mit au point sa vision de la complexité et de la reliance, cet art de relier entre elles les connaissances. Refusant d’être le prisonnier d’une chapelle.

Il avait entre-temps inventé une sociologie du présent que met en perspective dans ce numéro Nicole Lapierre. Il avait aussi imposé sa manière inimitable de philosopher avec chaleur et empathie, comme nous l’explique Jean Viard dans l’entretien qu’il nous a accordé. Formidable Edgar Morin qui avait accepté de parrainer le 1 lors de son lancement en 2014 et qui accepte aujourd’hui de se prêter au jeu du questionnaire de Proust et de répondre à nos questions sur l’actualité et le temps présent. Son oxygène.

Bon anniversaire, cher Edgar ! 

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