Bachar al-Assad, l’État islamique et les pantins
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Une année s’est écoulée depuis mon départ de la Syrie. Les chiffres de l’exode massif des Syriens entreront certainement dans l’histoire. Je garde un œil attentif sur ce qui se passe. Comme tout le monde, je pense. Vous suivez les informations, vous regardez les photos, vous restez en contact avec ceux qui sont encore coincés là-bas… Mais qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que cela apporte ? La pièce essentielle du puzzle manque. Lire que des barils d’explosifs et des obus sont tombés pendant dix jours sans interruption dans la ville où vous avez vécu n’a rien à voir avec la vraie vie sous les bombardements. Depuis un an, Saraqeb est pilonnée tous les jours. Voir les cadavres amoncelés sous les décombres, ce n’est pas les toucher. L’odeur de la terre après l’explosion d’une bombe à fragmentation ne se transmet pas par le biais des photos et des vidéos diffusées par les militants qui sont en vie et capturent les événements par l’image. Où est la puanteur ? La panique dans les yeux des mères ? Ce bref moment de silence et de choc après chaque déflagration ? Toutes ces images nous connectent de façon provisoire avec les faits qui se déroulent en temps réel, mais quelle signification ont-elles ? Elles ne disent rien d’autre que la folie. Parce que ces images en deux dimensions fusionnent la réalité avec l’imaginaire, réduisent tout à une sorte d’absurdité futile, brouillent la séparation entre la vie et la mort.
Le monde extérieur ne croira jamais que ce qui se passe en Syrie – ce dont le monde entier est témoin pourtant – n’est rien d’autre que le désir de la communauté internationale d’assurer son propre salut. D’autres gens meurent à la place. La communauté internationale poursuit sa vie alors même que la vie s’éteint devant ses yeux. Ils sont les survivants et cela suffit. C’est un instinct charnel semblable au désir sexuel. Les voyeurs du monde entier prennent leur pied en regardant la lutte désespérée de la Syrie pour survivre, une scène composée essentiellement de tas de cadavres syriens. Le monde se contente de regarder, de broder, de rendre encore plus sensationnel le spectacle artificiel de la guerre entre Assad et l’EI. Puis cet épouvantail a grandi pour devenir le monstre effrayant dont ils avaient besoin pour apaiser leur absence de conscience. Ce qui se passe n’est pas nouveau dans l’histoire de l’humanité. Mais cela se déroule à la vue de tous. Le sang se répand sous nos yeux et sur nos mains. Accompagné d’images de barbarie qui font de nous des monstres au cœur froid. La machine médiatique internationale tourne en boucle si bien que chaque nouvelle victime efface la précédente et nous familiarise avec l’atrocité et l’ampleur de la mort. Nous consommons les informations puis nous les jetons à la poubelle.
Voici ce que sont devenus les Syriens depuis quatre ans. Une révolte populaire pacifique contre un dictateur s’est muée en une mutinerie armée contre les militaires et l’État, avant que les islamistes ne s’emparent de la scène et ne transforment les Syriens en pantins dans une guerre par procuration. L’EI, la faction fondamentaliste qui est apparue en avril 2013, est aujourd’hui un État et possède de facto une force d’occupation. Les combattants étrangers, qui ont déferlé à travers la frontière turque, sont devenus des machines de mort et de destruction. Tout est pris dans les tenailles du radicalisme violent.
L’EI occupe des villes syriennes. La coalition dirigée par les États-Unis les bombarde presque avec coquetterie, avant de s’enfuir par lâcheté. Pendant ce temps, l’EI et ses alliés avancent indemnes et le massacre se poursuit. Le monde entier est obsédé par l’État islamique pendant que les avions d’Assad continuent à larguer des bombes sur les civils, dans les provinces d’Idlib, de Damas, de Homs et d’Alep. Le monde semble attendre que le spectre flou de l’EI devienne clair, qu’il se cristallise, alors que d’innocentes victimes civiles continuent de mourir. Les rouages des négociations internationales se grippent et pendant ce temps, le sang coule, on compte des millions de déplacés, qui deviendront des millions de réfugiés. La Syrie ne sera plus jamais la même. On l’a pendue et écartelée.
Les Portes du néant, traduit de l’arabe par Rania Samara
© Stock, 2016
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