M. le Premier ministre : Aucune formation ne détient la majorité absolue dans cette assemblée. Les socialistes, dont j’ai la fierté d’être, y sont majoritaires, mais de manière seulement relative. Ainsi en ont décidé les Français. Notre tâche, dès lors, n’est pas simplement de nous en accommoder, d’essayer tant bien que mal de rassembler des voix au hasard des projets. Les Français ont exprimé ce qu’ils voulaient, leur volonté est notre loi et j’entends l’appliquer.

Cela signifie en premier lieu que la politique conduite sera conforme à ces valeurs qui font les socialistes : la tolérance, la justice, le progrès, la solidarité. Tous mes amis qui siègent sur ces bancs y sont acquis. Mais ils savent aussi, tous, que les idées qu’ils défendent ne sont jamais si belles et si rayonnantes que quand elles valent pour tous. Nos priorités ne sont pas celles d’une moitié de la France contre l’autre moitié, mais celles de tous les Français. Défaire ce que les autres ont fait, faire ce que d’autres déferont, voilà bien le type de politique dont les électeurs ne veulent plus. Nous ne demanderons à personne de nous rejoindre par intérêt ni de trahir ses convictions. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes du Rassemblement pour la République et de l’Union pour la démocratie française.)

« Nos priorités ne sont pas celles d’une moitié de la France contre l’autre moitié »

M. Philippe Auberger : Des noms !

M. Jacques Toubon : Pas besoin de le dire ! Pour ceux qui y avaient intérêt, c’est déjà fait !

M. le Président de l’Assemblée : Je vous en prie, mes chers collègues. Poursuivez votre propos, monsieur le Premier ministre.

M. le Premier ministre : Tous les socialistes qui sont ici entendent bien le rester !

M. Robert-André Vivien : On ne débauche pas, nous !

M. le Premier ministre : Et nous comprenons que d’autres, qui sont centristes, communistes, libéraux ou gaullistes n’envisagent pas non plus de renoncer à l’être. Mais avec ceux qui sauront être ouverts, nos différences s’accorderont, sans que nul n’ait besoin de renoncer à ce qu’il est. C’est là ce que veulent les Français, et c’est à leur égard que chacun devra donc prendre ses responsabilités. […]

À convictions anciennes, fidélité maintenue. Mais à temps nouveaux, pratiques résolument nouvelles. […]

Je crois en effet qu’une certaine forme de combat politique a vécu. La société française a évolué plus rapidement que n’a eu à le faire le système politique. Les trois alternances successives de 1981, 1986 et 1988 ont remis les choses à leur place, et les abstentionnistes des 5 et 12 juin dernier nous l’ont dit à leur manière.

Vous êtes toutes et tous des femmes et des hommes de terrain, qui connaissez bien les réalités, qui mesurez bien les problèmes des gens, qui devinez leurs aspirations réelles. Pourtant, cette somme de savoir accumulé et d’expériences vécues disparaît presque totalement du débat politique national. À quoi cela tient-il ? Beaucoup d’explications sont possibles. Mais une seule réponse est valable à mes yeux, celle d’un retour aux sources de la démocratie, une démocratie qui ne soit pas seulement faite pour nos principes fondamentaux, enfermée dans nos codes et une pratique occasionnelle. Non, ce qu’il nous faut, ce à quoi les Françaises et les Français aspirent, c’est à l’apparition de la démocratie de tous les jours. […]

« Il faut, disait Victor Hugo, que la défaite de la démagogie soit la victoire du peuple. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Brocard : Ah ? […]

M. le Premier ministre : Mesdames et messieurs les députés, je me suis, dans cette déclaration, soigneusement abstenu de toute mise en cause, de toute dénonciation. Rien ne serait plus contraire à la passion de la France unie que nous fait partager François Mitterrand. Rien ne serait moins conforme aux besoins des Français. Rien ne serait moins conforme à l’idée que je me fais de notre société.

En tant que responsable, mon propos est sans doute austère. En tant que citoyen et tout simplement en tant qu’homme, mon enthousiasme est entier et mon espoir est intact.

Je rêve (Murmures sur les bancs des groupes du Rassemblement pour la République et de l’Union pour la démocratie française) d’un pays où l’on se parle à nouveau. Je rêve de villes où les tensions soient moindres. Je rêve d’une politique où l’on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu’à qui le dit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Je rêve tout simplement d’un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue – pourquoi pas de la fête ? – et de la liberté. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Je suis de ceux qui croient, au plus profond d’eux-mêmes, que la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Chérir la liberté de cette manière-là, c’est, autour des thèmes que je vous ai proposés – la réconciliation, la solidarité, les chemins de l’avenir – construire un nouvel espoir pour que vivent les Français et pour que vive la France. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement.)

À l’Assemblée nationale, le 29 juin 1988 

Illustration Stéphane Trapier

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