Un président sans compromis
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L’un des aspects les plus paradoxaux de la pratique du pouvoir par Emmanuel Macron tient sans aucun doute au gouffre abyssal entre son discours sur la nécessité du dépassement des clivages traditionnels et son absolue incapacité à faire des compromis. Le problème de la situation politique actuelle se trouve en effet moins dans un déni de démocratie de sa part, que dans le fait que le chef de l’État semble inapte à construire des solutions partagées avec les autres acteurs du champ politique. Le résultat des législatives a laissé Emmanuel Macron dans une position inédite depuis le début de son second mandat. Privé de majorité, il se retrouve contraint de naviguer dans un paysage parlementaire plus éclaté que jamais. Ce nouvel équilibre de pouvoir, qui aurait pu être l’occasion de réinventer le dialogue politique, s’est rapidement transformé en un blocage institutionnel. Au lieu de chercher à construire des alliances ou à engager des discussions avec les autres forces politiques, le président s’entête dans une attitude de fermeté, voire de mépris, à l’égard de ses adversaires.
« L’homme sans compromis » : l’image résonne dans l’imaginaire national. N’a-t-on pas dit si souvent de tel artiste célèbre qu’il était « sans compromis », pour marquer son indépendance d’esprit face aux modes ? N’a-t-on pas, à travers la figure de Cyrano de Bergerac, érigé le refus absolu du compromis en trait national, lui conférant le signe d’une noblesse de caractère que nous aimons tant admirer ? Comment ne pas aimer celui ou celle dont le refus de transiger avec ses convictions le conduit soit au triomphe, soit à un splendide isolement ? De ce « ça ou rien », nous gardons dans notre mémoire rétinienne des moments marquants de notre vie politique. L’exil de Bonaparte à Sainte-Hélène, les marches solitaires du général de Gaulle en Irlande après sa démission en 1969, jusqu’au retrait de la vie politique de Lionel Jospin au lendemain de sa défaite en avril 2002, sont autant d’images d’Épinal de figures historiques qui ont refusé les compromis.
« C’est probablement ainsi que se perçoit le chef de l’État : un héros solitaire dont l’intelligence supérieure ne peut s’accommoder de l’idée de négociation »
C’est probablement ainsi que se perçoit le chef de l’État, dans ce travers qu’on qualifie si souvent de narcissisme : un héros solitaire dont l’intelligence supérieure ne peut s’accommoder de l’idée de négociation. Cette posture a pu séduire en 2017, lorsqu’il semblait capable de réformer rapidement un pays réputé pour sa lenteur bureaucratique. Cependant, avec le temps, elle a révélé ses limites. L’absence de compromis n’a pas seulement isolé Macron au sein de la classe politique, elle lui a aussi aliéné une partie croissante de l’électorat, qui voit en lui un chef d’État déconnecté des réalités quotidiennes.
La difficulté du président à faire des compromis ne se limite pas à un problème de méthode ; elle soulève des questions plus profondes sur l’état de la démocratie française. En refusant d’entrer dans un dialogue constructif avec les syndicats, les partis d’opposition et même sa propre majorité, il a fragilisé la culture du débat qui est au cœur de la démocratie parlementaire. Cette attitude a contribué à faire croître le sentiment de défiance envers les institutions et le personnel politique que vient de confirmer la dernière enquête d’Ipsos et du Cevipof, publiée fin août. Elle a même alimenté la montée de l’extrémisme politique, aussi bien à gauche qu’à droite. Les Gilets jaunes, en 2018, ont été une première alerte. Ils ont cristallisé le mécontentement d’une France périphérique, se sentant méprisée et ignorée par un pouvoir central qui refuse d’entendre ses revendications. Si Macron a tenté, à travers le grand débat national, de renouer avec cette partie de la population, l’initiative est apparue trop tardive et trop limitée pour combler le fossé qui s’était creusé.
Le romantisme de l’absence de compromis à la vie dure.
La difficulté à faire des compromis a également eu des répercussions internes sur la coalition présidentielle. La République en marche, rebaptisée Renaissance en 2022, a toujours été un rassemblement hétéroclite de diverses sensibilités politiques, unies par l’espoir de changement. Mais l’absence de compromis et la concentration du pouvoir entre les mains d’un petit cercle autour du président ont provoqué des tensions, un temps sous-jacentes, qui éclatent aujourd’hui au grand jour. Depuis le début de la crise politique ouverte par les résultats du 7 juillet, le manque de relais politiques solides sur le terrain mais aussi au Parlement s’avère un handicap majeur pour le chef de l’État, confronté à un paysage politique polarisé. Cela explique ses difficultés à trouver celui ou celle qui occupera Matignon, de même que la majorité qui le soutiendra.
Le romantisme de l’absence de compromis à la vie dure. On le retrouve dans l’intransigeance d’un Jean-Luc Mélenchon au soir du 7 juillet, prétendant refuser tout compromis sur le programme du NFP, ainsi que dans l’attitude des principaux chefs de parti, incapables de s’entendre. Dans une vie politique polarisée à l’extrême, ce trait de caractère est délétère. D’où la nécessité d’un arbitrage par le chef de l’État, un rôle que celui-ci ne semble ni désireux ni en mesure d’assurer. Pourtant, c’est dans l’art de faire des concessions que se forgent la légitimité durable d’un dirigeant et sa place dans l’histoire. Ce refus, loin d’être une preuve de force, expose à présent la fragilité d’un pouvoir qui se trouve désormais sans base solide pour gouverner. Dans une époque marquée par des crises multiples – économiques, sociales, environnementales –, la gouvernance par le compromis n’est plus un choix, elle est une nécessité absolue. Emmanuel Macron, malgré son image de réformateur inflexible, semble incapable de s’adapter aux exigences d’une démocratie mature. D’où son héritage politique limité de président brillant mais isolé, dont les grandes ambitions se heurtent, aujourd’hui comme hier, aux dures réalités d’un pays réfractaire à l’autoritarisme.
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