Deux longues mains stylisées encadrent un visage effrayé, deux cercles représentent un regard d’épouvante et plus bas une bouche grande ouverte exprime la stupeur et la crainte. Le Cri, cette œuvre du peintre norvégien Edvard Munch, dont on peut voir actuellement la version lithographique au musée d’Orsay, symbolise à elle seule notre angoisse contemporaine.

Les causes de ce vertige existentiel surabondent, et il suffit d’en citer quelques-unes – le changement climatique, la guerre en Ukraine, la menace d’une frappe nucléaire, les flux migratoires ou la résurgence des épidémies – pour prendre la mesure du phénomène. Ces grandes angoisses collectives, emboîtées les unes dans les autres et oubliées en Europe depuis plus d’un demi-siècle, investissent aujourd’hui les consciences du plus grand nombre. Elles se caractérisent au mieux par la crainte d’une altération de nos modes de vie, au pire par la menace d’un effondrement de notre univers. Sans forcer le trait, ne peut-on dire que nous sommes tous angoissés et marqués par ces grandes peurs ?

L’angoisse, ce poison individuel paralysant, doit être déjouée

Ce numéro du 1 se propose d’analyser cette conjonction de maux inédits qui échappent à des réponses simples – chacun renvoyant à de lourdes incertitudes –, mais aussi d’explorer en parallèle les voies permettant d’en sortir. Car l’angoisse, ce poison individuel paralysant, doit être déjouée. Dans l’entretien qu’elle nous accorde, la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury relève à juste titre que l’angoisse – consacrée concept philosophique au début du XIXe siècle avec la pensée de Søren Kierkegaard – devient plus politique dans nos sociétés. Elle était le signe même de la subjectivité humaine, elle est désormais un marqueur social qui prend la place des tourments intérieurs d’autrefois. Pour échapper à son emprise, briser le cercle de la prostration, le pédopsychiatre François Ansermet appelle de ses vœux une « angoisse créatrice » libératrice. C’est le chemin emprunté par ces jeunes militants que notre reporter Manon Paulic a rencontrés au fil de son enquête sur l’écoanxiété. Ils lui confient leur passage de la dépression à l’action, l’arrachement à la torpeur invalidante par le sursaut.

Aux contours vagues, indéterminés des fléaux modernes, l’action oblige, de fait, à opposer des objectifs précis. À mettre des mots sur l’incertitude. Une bonne technique pour échapper au désarroi et à la tétanie. 

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