La guerre, la société, le mariage sont emmerdants, mais certains s’en servent comme de tremplin pour sauter plus loin qu’eux-mêmes, écrivit Jean-Paul de Dadelsen. Le poète fut officier de parachutistes dans les Forces françaises libres. « Il ne reste en dernière analyse, comme cause d’emmerdement, que l’amour de soi-même. » 

Arrête-toi. Au lieu de haleter de seconde en seconde 
Comme un torrent de roc en roc dévalant sans vertu,
Respire
Plus lentement et sans bouger, les pieds croisés, les mains jointes,
Regarde, comme si c’était le monde tout entier,
Un objet, menu et domestique, par exemple
Cette tasse.

Néglige sa courbure, ce bord ondulé, ces dessins bleus.
Ne considère que l’intérieur, cette cavité blanche, cette surface
Lisse.
L’eau n’est lisse ainsi que les soirs de grand calme
Après une journée qui rassemble et retient son bonheur
Au centre du silence où s’arrête son
Souffle.

Peux-tu nommer un jour, une heure, sans reflets d’hier,
Sans impatience de demain, où ton âme fut ainsi
Lisse ? 

N’écoute pas ton cœur, ne compte pas ton pouls, ne songe pas 
Au temps qui vers la mort te traverse, mais seulement
En arrêtant ton souffle regarde cette pure et seule qualité 
De lisse. […]

Voici l’entrée, non pas de la sagesse, ni du silence,
Ni du parfait pouvoir sur toi-même et ton ombre,
Mais d’une première
Cavité assez lisse pour contenir une poignée de paix.
Maintenant tu peux dormir, les pieds joints pour ne pas couper
Le courant, les mains jointes, maintenant tu peux
T’élever

Lentement, calmement un peu plus haut que ton corps étendu
Et dénoué, comme si tu n’habitais plus que ta tête 
Ou tes narines
Ou les environs immédiats de l’œil pinéal ;
Maintenant au-dessus de ton corps, pacifié, au-dessus
De ta boîte à sornettes, dans le fluide lisse de ton âme éployée, tu peux
Veiller.

 

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